L’Allemagne redécouvre la Première Guerre mondiale

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Delphine Nerbollier, correspondante à Berlin (Weimar) , le 13/07/2018 à 14h20

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1918-2018. Mémoires européennes. En cette année du centenaire de l’Armistice, « La Croix » enquête sur la prégnance de la Grande Guerre dans l’histoire des pays européens. Au programme du vendredi 13 juillet, l’Allemagne, où ce passé enfoui par le traumatisme du nazisme tend à resurgir.

Journées de collecte de documents privés à Bonn.

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Journées de collecte de documents privés à Bonn. / www.europeana.eu

En Allemagne, pas un jour ne passe sans référence à la Seconde Guerre mondiale, au nazisme ou à la Shoah. Le conflit perdu de 1914-1918, en revanche, est éclipsé par le traumatisme des années 1930 et 1940.

On en parle d’ailleurs souvent comme de la « catastrophe originelle » qui ouvrit la voie au nazisme. Le fait que les combats ne se soient quasiment pas déroulés sur le sol allemand n’a pas permis, en outre, d’en fixer la mémoire sur un territoire.

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Historien à l’université Albert-Ludwig de Fribourg-en-Brisgau, Jörn Leonhard constate toutefois un changement. « Depuis 2014, les Allemands redécouvrent cette période », se réjouit-il. Livres, documentaires, films… L’entrée dans le centenaire du conflit a suscité un réel intérêt, alimenté par des expositions souvent régionales.

Lui-même a contribué à cette évolution, par la publication d’un livre qui s’est notamment intéressé à certains parcours individuels. « J’ai voulu expliquer la grande histoire par le biais des petites », explique Jörn Leonhard.

Un regain d’intérêt populaire pour la Grande guerre

Cette redécouverte des histoires personnelles est nouvelle outre-Rhin où, contrairement à la France, les expériences des soldats dans les tranchées n’avaient guère été exaltées. La mort du dernier poilu allemand en 2008 avait été très peu relayée par les médias.

Frank Drauschke n’est pas pour rien dans ce regain d’intérêt populaire. Historien à l’institut berlinois Facts & Files, il a participé au lancement en 2011, en Allemagne, d’un projet destiné à mettre en ligne des archives privées liées à cette époque. Depuis, l’initiative est devenue européenne et a permis de collecter plus de 440 000 documents à travers le continent (1).

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« En 2011, lorsque nous avons lancé la première opération de collecte, nous ne savions pas si le public suivrait. Or le succès a été immédiat, se rappelle Frank Drauschke. Certains ont apporté des caisses entières de cartes postales, photos et lettres appartenant à leurs grands-pères. »

Frank Drauschke a lui-même mis en ligne le carnet militaire et une photo de son grand-père en uniforme, envoyé au front à l’âge de 19 ans, notamment en Champagne. Des actions similaires de collectes de documents ont aussi été organisées par des journaux régionaux.

La responsabilité centrale de l’Allemagne

Pour Étienne François, historien français basé à Berlin, cette redécouverte par le public « après des générations de silence ou de faible attention » est d’autant plus importante que ce conflit est « l’un des éléments constitutifs de la nation allemande, avec l’invention de l’État social par Bismarck »« Avec la mobilisation générale, toutes les familles ont été concernées. La fusion s’est faite d’en bas »,explique-t-il.

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L’intérêt pour cette période a aussi été aiguillonné par le livre à succès de Christopher Clark, Les Somnambules (2). Alors que le traité de Versailles de 1919 désigna l’Allemagne comme responsable du déclenchement de la guerre, cet historien australien évoque une « responsabilité centrale de l’Allemagne mais non plus unique » et décrit des hommes d’État européens prisonniers de perceptions faussées de leurs adversaires. Les débats outre-Rhin ont été intenses, d’autant qu’à la même époque éclatait le conflit ukrainien.

Le besoin de stabilité allemand

« Depuis, les diplomates se questionnent davantage sur la manière de gérer les crises, d’éviter les guerres et de faire la paix, note Jörn Leonhard. Et les Allemands cherchent davantage à comprendre comment les autres parties pensent. »

Favoriser le dialogue, c’est aussi la leçon qu’Angela Merkel tire du premier confit mondial. « Nous devons nous battre pour qu’une telle situation ne se reproduise plus. Il vaut mieux négocier vingt heures de plus que d’abandonner », expliquait la chancelière en 2014.

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Le besoin de stabilité si fortement ancré depuis des décennies dans la culture allemande est considéré comme une des conséquences de la défaite de 1918. La république de Weimar, proclamée le 9 novembre 1918, deux jours avant l’Armistice, reste synonyme d’instabilité gouvernementale et de l’arrivée de Hitler au pouvoir.

« La démocratie n’est jamais acquise »

Certains commentateurs comparent d’ailleurs la crise politique actuelle avec cette période. « Les Allemands sont très attachés à la République fédérale et redoutent une disparition des grands partis de gouvernement, rappelle Jörn Leonhard. Avec l’arrivée au Bundestag de l’AfD (parti populiste de droite, NDLR), cette crainte a resurgi, même si elle est très exagérée. »

À Weimar, petite ville de Thuringe où le romancier et poète Johann Wolfgang von Goethe passa l’essentiel de sa vie, on défend aussi une autre vision du régime républicain créé dans la débâcle impériale de 1918 et qui sombra en 1933 avec la prise de pouvoir de Hitler. Le musée municipal consacre depuis 2014 une exposition à l’Assemblée constituante qui rédigea la Constitution de 1919.

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« Cette Constitution est l’une des plus démocratiques qui soit, souligne le directeur Alf Rössner. Elle a été un modèle pour la Loi fondamentale de 1949. La république de Weimar a eu le mérite de tenter l’expérience de la démocratie dans des conditions très difficiles. Si elle a échoué, c’est à cause du manque de démocrates. C’est une des leçons à tirer. La démocratie n’est jamais acquise. »

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La proclamation de deux républiques concurrentes

28 janvier 1918. Grève générale des ouvriers allemands pour la paix et la démocratisation des institutions.

4 octobre. Woodrow Wilson exige l’abdication de Guillaume II avant toute négociation.

28 octobre. Modification de la Constitution impériale et passage officiel à un régime parlementaire.

29 octobre. Mutineries de Kiel.

9 novembre. Proclamation de la « République allemande » par Philipp Scheidemann puis de la « République socialiste libre d’Allemagne » par Karl Liebknecht.

28 juin 1919. Traité de Versailles.

31 juillet 1919. Adoption de la Constitution, rédigée à Weimar, promulguée le 11 août suivant.

Delphine Nerbollier, correspondante à Berlin (Weimar)

L’historien nous a invité à une promenade au cimetière du Père-Lachaise à Paris, pour faire resurgir la mémoire de la Première Guerre mondiale. Pendant tout l’été, il tiendra une chronique dans La Croix et sur France Inter pour retracer l’histoire de la fin de ce conflit à travers l’Europe. (En partenariat avec France Inter et la Mission du centenaire)

L’historien devant le monument aux Belges morts pour la France, au cimetière du Père-Lachaise.

L’historien devant le monument aux Belges morts pour la France, au cimetière du Père-Lachaise. / Carmen Abd Ali pour La Croix

Paris, cimetière du Père-Lachaise. Au-delà de la porte Gambetta, comme tracée à la règle, s’étire l’allée des Volontaires morts pour la France. De part et d’autre, d’imposants monuments se font face, les tombeaux de ceux qui, venus d’armées étrangères, tombèrent aux côtés des Français. À l’ombre des arbres, parfois invisible aux passants, sommeille la mémoire mondiale de la Grande Guerre.Bien sûr, la capitale réserve d’autres lieux, d’autres traces, à celui qui sait les lire. C’est cet endroit pourtant qu’a choisi l’historien Nicolas ­Offenstadt, spécialiste de la guerre de 1914-1918 et membre du conseil scientifique de la Mission du centenaire. Ici, l’expression un peu lisse de « Première Guerre mondiale » se mue soudain en une réalité rugueuse, diverse, humaine.En quelques enjambées, on retrace de plus amples traversées. Certains, comme les soldats italiens ou belges, ont grandi aux portes de la France avant de rejoindre ses troupes. D’autres, partis de plus loin, laissent leur vie sur les champs de bataille de la Somme et de la Champagne comme du Proche-Orient ou du Caucase.Sur le monument aux morts arméniens, la liste des batailles, de l’Artois aux Dardanelles, imprime dans la pierre leurs itinéraires chaotiques. D’autres encore se battent aux côtés des Alliés pour bâtir l’indépendance de leur pays, libérés du joug des empires finissants. Les mémoriaux des volontaires tchécoslovaques ou polonais racontent, à l’est de l’Europe, la naissance de nouveaux États-nations.« Pour la première fois, la Grande Guerre fait surgir une mémoire de pierre dans l’espace public, commente Nicolas Offenstadt. Ce qui me passionne depuis longtemps, ce sont les traces du passé. Pas seulement celles des archives ou des musées, mais celles qui s’inscrivent dans des lieux, se nichent dans les interstices. Car avec elles, les gens vivent et “bricolent” au quotidien. »Ce cimetière, cela fait trente ans qu’il… Il reste 80% de l'article à lire.

 

Elle rôde dans nos têtes

Bruno Frappat , le 08/07/2018 à 6h03

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Médaillons commémoratifs des soldats de 14-18, dans le cimetière de Digne-les-Bains. E. Franceschi/Divergence

Médaillons commémoratifs des soldats de 14-18, dans le cimetière de Digne-les-Bains. E. Franceschi/Divergence / Eric Franceschi/Divergence

Imaginez des parents qui seraient nés au début du siècle dernier et auraient eu, lui onze ans en 1914, elle treize ans en 1918. Quand ils évoqueraient plus tard, devant leurs enfants un peu distraits, l’idée de guerre ce ne serait pas celle de 1939-1945, pourtant plus récente et subie à l’âge adulte mais bien la seule la vraie, l’unique, la grande, la der des ders, celle de leur prime jeunesse, la plus traumatisante à leur échelle.Cette trace mémorielle arbitraire et sélective, ils la transmettraient à l’identique à leur progéniture, conçue entre les deux guerres. Ils avaient, gamins, vu partir des proches hommes, grands-pères ou oncles, jamais revenus du front, un père tenu quatre ans loin de sa famille dans des contrées mystérieuses, au nord, à l’est. Sa nichée à l’abandon, une femme trois filles, attendrait son retour, terrée dans une maisonnette de campagne sans confort, servant aujourd’hui de résidence d’appoint pour les estivants du XXIe siècle.Ils y passeraient, eux devenus très vieux couple, leurs dernières vacances d’été durant les années quatre-vingt avant de disparaître. La maisonnette était devenue coquette, refaite au goût du jour, plus d’effluves de la Grande Guerre.Elle est toujours là cette dernière guerre, qui devait signer la fin de la bêtise et de la méchanceté humaines. Promesse… Il reste 80% de l'article à lire.

https://www.la-croix.com/Actualite/France/Guerre-de-14-18