Un miracle de la Grande Guerre

Tout près des frontières alsaciennes, en entrant dans Sarrebourg par les Vosges, on peut voir à la sortie de Buhl, sur le bord de la route, une croix très  particulière. But des promenades dominicales en famille pendant des  décennies et origine d’une histoire merveilleuse racontée par les parents et  grands parents, la connaissez-vous ?

 

Les premières batailles initiées ar le commandement français débutèrent le 7  août 1914, soit seulement 5 jours après l’entrée en vigueur, le dimanche 2  août, de l’ordre de mobilisation générale. Mais dès le 5 août, la première armée  sous le commandement du général Dubail, devait avancer par les Vosges en direction de Sarrebourg, alors que la deuxième armée, sous les ordres du général de Castelnau devait prendre l’offensive au nord de Nancy. 

 

Les batailles commencèrent en Alsace, sur une ligne Altkirch-Thann. Après un  échec relatif des opérations, une deuxième offensive française eut lieu du 14  au 22 août. Elle se conjugua avec les batailles de Lorraine, où l’armée française avait commencé ses attaques dès le 14 août. 

La bataille de  Sarrebourg 

Du 18 au 20 août 1914, celle-ci fera de ce secteur l’un des plus sanglants champs de combats du début de la Première Guerre mondiale. Elle fit en trois jours d’affrontement 10 000 morts dans le camp français et presque autant de combattants allemands laissèrent leur vie dans ce seul secteur. L’État-major  allemand souhaitait que l’affrontement ait lieu sur un terrain familier aux  troupes de la garnison sarrebourgeoise. Quant aux troupes françaises du  général Maud’huy, elles avaient à franchir, entre Sarrebourg et Buhl, un vaste terrain nu, sous le feu des Bavarois. Par ailleurs, certaines unités allemandes s’étaient familiarisées, depuis 1913, avec l’armement des mitrailleuses. Les  pantalons rouge garance des soldats français offraient des cibles voyantes à ces nouvelles armes automatiques. 

Après la bataille, les victimes des deux camps de belligérants ont été ramassées par les civils réquisitionnés. Les blessés furent dirigés sur des hôpitaux. D’impressionnants chargements de morts entassés sur des charrettes paysannes se dirigèrent en divers lieux d’inhumation, dans des cimetières militaires qui fleurissent un peu partout dans toute la région, et notamment dans le cimetière militaire de Sarrebourg. 

bohl1La croix de Buhl

Les horreurs de cette bataille sanglante, qui connut son point d’orgue le 20 août 1914, restèrent bien sûr dans les mémoires. Mais ce que la mémoire collective semble avoir privilégié tout autant, c’était un fait exceptionnel, très vite considéré comme une sorte d’évènement à caractère miraculeux. Au cours de la bataille, une croix située sur la route de Sarrebourg à Buhl, érigée en 1875, s’est retrouvée en plein champ de bataille, sur la ligne de feu. Atteinte par un tir d’obus, la croix de bois fut arrachée, alors que l’effigie du Christ, les bras écartés, resta scellée sur son socle. De multiples cartes postales ont été  éditées dans les jours qui suivirent les combats. Ces derniers avaient tourné à  l’avantage des forces allemandes. Les troupes françaises, sous les ordres du général Maud’huy avaient en effet été contraintes au repli. La croix de Buhl fut photographiée sous divers angles. Parmi les photographies, 

on en trouve une restée célèbre, le cliché ayant été pris par le Kronprintz Wilhelm von Hohenzollern en personne. Dominique Richert, fantassin  allemand
au 112e régiment d’infanterie, stationné à Mulhouse, avait participé aux  premières batailles dans le Haut-Rhin. Son unité fut transférée en ce mois d’août, en Lorraine. Dans “Cahiers d’un survivant3”, il relate que son régiment a participé aux combats du secteur de Buhl. Il fut parmi les premiers témoins de l’évènement : « J’eus pour mission, avec un sous-officier et dix hommes, de chercher des munitions à Buhl, afin de remplacer celles que nous avions tirées. À proximité du village se trouvait un calvaire. Un obus avait sectionné le bois de la croix à hauteur des genoux du Christ, arrachant la planche transversale. Le Christ se tenait debout, intact, les bras en croix ». Ainsi cette croix devint très
vite le symbole d’une des batailles les plus meurtrières du début de la Grande Guerre.

L’évènement eut un certain retentissement. Bien des familles accrochèrent une reproduction encadrée de la croix de Buhl dans leur demeure. Outre l’image de la croix, on pouvait y trouver un poème s’efforçant de donner un sens à  l’événement. Plusieurs auteurs composèrent ainsi des poèmes en langue  allemande sur le sujet. Le poème de A. Schmidlin, que nous reproduisons  ci-dessus, est sans doute le plus connu : 

La croix sur le camp de bataille

1. Sur le champ de bataille de Sarrebourg
S’élève un monument étrange
Si divinement sublime et clément
Et pourtant empli de douleur
On y voit se dresser solitaire
Le sauveur Jésus-Christ
La croix lui a été fracassée
Mais son image est encore intacte.

2. Les bras élevés en hauteur
Il supplie son père
Ah prend donc pitié,
Oh Père, arrête !
Le sang que j’ai versé
Comme agneau sacrifié pour l’humanité
A-t-il donc coulé en vain
Sur le dur gibet de la croix ?

3. Épargne tes enfants,
Ton Fils répond pour eux
Comme médiateur pour les pécheurs
Avec son propre sang.
Sa croix est certes brisée
Dans cette bataille chaude et sanglante
Il continue cependant inlassablement
La garde toujours fidèle.

4. Même si dans le tumulte de la bataille
La croix est en morceaux
Et si terre et ciel devaient
Sombrer dans l’embrasement du monde
Si tout devait tomber en poussière et s’effondrer autour de nous
Le Sauveur jamais ne mourra
Et son amour non plus.
A. Schmidlin

Ce Christ sans croix se dresse toujours au même endroit4. Il reste le témoin discret et muet de ces journées d’apocalypse. 

D’autres combats meurtriers, ceux des cols vosgiens, de la bataille de la Marne, celle de Verdun et bien d’autres viendront s’ajouter à la douloureuse liste de la Première Guerre Mondiale.

Daniel ROUSCHMEYER