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1 783 internés – Fragments de la désertion allemande pendant la Grande Guerre

Cyril MALLET  

84–108 minutes


 

1 783 internés – Fragments de la désertion allemande pendant la Grande Guerre

La désertion pendant la Première Guerre mondiale est un phénomène qui, quoique relativement marginal, reste encore peu connu, encore plus lorsqu’il s’agit d’individus ayant quitté les rangs de l’armée allemande. A partir de retranscriptions d’interrogatoires, Gwendal Piegais ouvre ce dossier passionnant, et contribue par la même occasion à apporter une pierre à l’histoire transnationale de ce conflit.

Par Gwendal PIEGAIS

 

 

À Jean-Luc Évard, 1949-2015

Durant la Première Guerre mondiale, alors que la lutte des armées a lieu sur une ligne de front plus ou moins fixe – de la Suisse à la Mer du Nord – le combat pour le renseignement et la connaissance de l’ennemi fait rage entre les services de l’Entente et de la Triplice1. À cet égard, des États neutres comme les Pays-Bas ou la Suisse « offraient aux belligérants une excellente possibilité de s’espionner réciproquement «2. Saisissant cette aubaine, le War Office tente de mettre en place plusieurs réseaux de renseignement opérant à partir de territoires neutres. En échange de la tolérance des autorités néerlandaises, les services alliés fournissent certaines informations au service de renseignement du pays où ils opèrent3. Ce marché permet à ces derniers de profiter des sources traitées par les alliés, sans avoir à engager des dépenses inhérentes aux grands réseaux de renseignement4.

 
Soldats allemands. Carte potale. Collection particulière.

Le service de renseignement du War Office (composé d’un personnel militaire britannique et belge, connaissant bien les territoires occupés par les Allemands), principalement basé à Rotterdam et Maastricht, accomplit des tâches d’une grande variété : regroupant vingt-six réseaux, sous la houlette du Réseau Hunter5, il est dédié à l’interrogatoire des évadés des territoires occupés, des réfugiés, des bateliers de Hollande, à la surveillance des transmissions télégraphiques allemandes, à la collecte de renseignements relatifs aux passages de trains, etc.6

Parmi toutes ces activités, une en particulier a engendré une documentation et un ensemble d’archives pour le moins importants : un corpus d’interrogatoires de soldats allemands – nommés et présentés dans les documents comme des déserteurs, détenus aux Pays-Bas après avoir réussi à passer la frontière7. En effet, durant la seconde moitié du conflit mondial, les Pays-Bas connaissent un afflux croissant de déserteurs allemands, venant trouver refuge en territoire neutre. Face à ces nouveaux venus sur le territoire néerlandais, le Secret Service (le service de renseignement du War Office)ne reste pas inactif. Effectivement, dans le courant de l’année 1916, est créé un service d’interrogation des déserteurs allemands dépendant du Réseau Hunter.

D’octobre 1916 à novembre 1918, le service interroge de nombreux déserteurs internés aux Pays-Bas. 1783 interrogatoires complets de soldats de différents corps de l’armée et de la marine allemande sont conservés dans les archives du réseau. 1783 soldats, c’est un peu plus de la moitié d’un régiment d’infanterie8, autant dire bien peu de choses, eu égard à la mobilisation humaine que fut celle de la Première Guerre mondiale. En effet, dans les premières semaines de la guerre, lors de la bataille de Tannenberg, 166 000 soldats allemands prennent part à ce seul fait d’armes, 900 000 durant la bataille de la Marne ou encore 66 000 lors du siège d’Anvers9. Devant de tels ordres de grandeur, les 1783 soldats détenus aux Pays-Bas paraissent bien peu de choses. 

 
La bataille de Tannenberg. Carte potale. Collection particulière.

En revanche, une fois replacés dans le phénomène particulier que fut la désertion, ces 1783 soldats qui franchirent la frontière hollandaise apparaissent sous un autre jour. En effet, on estime à environ 10 000 le nombre de soldats ayant quitté l’Allemagne pour la Hollande et le Danemark, et entre 4 000 et 5 000 pour la Suisse10. Néanmoins, il faut préciser que si le dossier s’intitule « Déserteurs de Hollande », il ne regroupe pas que des interrogatoires de déserteurs, mais aussi de travailleurs ou d’ouvriers ayant fui les usines allemandes. De plus, on trouve également des marins ou du personnel de l’aviation. D’un point de vue humain, cet échantillon est donc des plus protéiformes, sur une séquence temporelle, de sucroît, qui donne au moins à voir un travail d’interrogation qui dure de juin 1917 à la fin de la guerre et rassemble des soldats allemands ayant participé au conflit depuis son déclenchement.

En raison de la destruction d’une bonne partie des archives militaires allemandes en 194511, la plupart des recherches sur le phénomène de la désertion n’ont été effectuées que par des biais précis et de manière non exhaustive. Par exemple, l’historien C. Jahr, pour analyser la désertion, l’embusquage et la discipline militaire a dû orienter son approche sur les régions d’Allemagne qui présentaient des archives militaires et juridiques complètes, tout en tenant un propos sur des régions qui étaient moins bien pourvues en archives12. Menée dans une perspective comparatiste avec la justice militaire anglaise, cette approche rend compte de bon nombre de ressorts de la justice militaire allemande.

Mais les archives juridiques et militaires examinées par C. Jahr13 nous renvoient tout de même une image de la guerre vue d’en haut, aux forts accents paternalistes, dont il est parfois difficile de se départir, dans la compréhension de la condition du soldat. Ces interrogatoires offrent donc une perspective très différente, car menés dans un esprit inquisitorial tout autre que ceux conduits par la justice militaire allemande. Avec l’analyse de telles sources, nous ne tombons pas non plus dans l’excès inverse, qui pourrait nous pousser à comprendre le phénomène de la désertion à travers les témoignages d’antimilitaristes qui animèrent, par exemple, des gazettes d’expression allemande aux Pays-Bas. Les interrogatoires étaient organisés pour recueillir des informations auprès de tous les soldats tombant entre les mains des autorités néerlandaises, et ce de manière indifférenciée. La polyphonie d’un tel ensemble archivistique est donc bien différente de celles des tribunaux militaires ou des groupuscules criant « Mort au Kaiser ! ».

Quels motifs prédominants de la désertion dans l’armée allemande peut-on donc déduire de l’analyse de ces interrogatoires ? Et si ces motifs sont récurrents, peuvent-ils nous permettre d’élaborer un profil type du déserteur allemand ? Dans un premier temps nous rappellerons quelques éléments qui permettent de comprendre le cadre juridique particulier dans lequel évoluent les soldats allemands durant le conflit, et les sanctions auxquels ceux-ci s’exposent en s’embusquant ou désertant. Ces éléments nous permettront de rendre compte une première fois du phénomène de la désertion dans sa globalité dans l’armée impériale. À la suite de cela on reviendra aux déserteurs internés aux Pays-Bas pendant la Grande Guerre. Notre objectif sera double : dégager les invariants de cet ensemble humain et replacer ces éléments dans la chronologie du conflit. Cet examen sera également l’occasion de présenter la multiplicité des parcours contenus dans ces interrogatoires et ce qu’ils nous donnent à voir des derniers mois de l’armée impériale allemande.

 
Soldats allemands. Carte potale. Collection particulière.

Discipline, embusquage et désertion dans l’armée impériale

Du début de l’année 1917 à la fin de la guerre, l’armée allemande connaît une forte hausse de la désertion et du refus d’aller ou de retourner au front. Bien que minoritaire, à l’échelle de toute l’armée allemande, le phénomène n’en nourrit pas moins des inquiétudes à tous les niveaux de l’État-Major. Ainsi, nous allons tenter de comprendre comment des conscrits ou des volontaires qui ayant dû quitter leurs foyers et travaux pour servir sous les drapeaux en viennent, après des épreuves diverses et variées, à choisir de se réfugier en territoire neutre, aux Pays-Bas.

De manière générale, la désertion ou la forte croissance du nombre de déserteurs peut s’expliquer par le vécu des soldats qui tentent de passer la frontière, mais également par une certaine permissivité qui existait dans l’armée allemande. En effet, de manière officielle, l’armée allemande se présentait comme le bastion de l’autorité et de la discipline dans une Allemagne exposée aux visées progressistes et révolutionnaires. « Autorité en haut et obéissance en bas ; en un mot, la discipline est l’esprit de l’armée », résumait ainsi Helmut von Moltke, l’ancien, devant le Reichstag dès 187214. Des juristes, comme Heinrich Dietz, plus en contact avec la technicité de la mise en application de la sanction pour manquement à la discipline dans l’armée confirmaient également que « la conservation de la discipline est la Ratio Legis de toute loi militaire »15. Mais dans la pratique, comme l’explique C. Jahr :

« Le fait de savoir si le comportement supposé déviant d’un soldat devait être ou non juridiquement réprimé dépendait de bien d’autres facteurs. Les témoignages contradictoires durant la procédure, l’influence d’officiers de haut rang sur les enquêteurs, l’ambiguïté de l’interprétation de la jurisprudence jouaient un rôle important dans la condamnation d’un soldat. » 16

La permissivité de l’armée allemande ne se traduit pas seulement dans les cours de la justice militaire, mais également dans la structure et l’organisation de l’armée allemande. La Deutsches Heer était une mécanique tellement vaste et complexe qu’elle permettait à bon nombre de soldats de pratiquer un « embusquage17 » régulier : certains soldats changeaient secrètement de bataillon, de division, afin d’accéder à des zones de combat moins exposées. Cette pratique de l’embusquage dans les plis et replis de l’armée allemande n’était d’ailleurs que peu réprimée dans les faits. Tout d’abord parce que les soldats qui s’y adonnaient n’étaient pas systématiquement considérés comme mauvais ou lâches. Mais sous la pression incessante des combats, et face à la réduction de plus en plus forte des temps de permissions, beaucoup aspiraient à rompre brièvement avec l’atmosphère des tranchées, et de nombreux officiers en sont tout à fait conscients.

 
Soldats allemands. Carte potale. Collection particulière.

La répression de ces manquements au protocole militaire est d’autant moins systématiquement appliquée que beaucoup d’officiers « refusaient […] d’imposer une application stricte de la discipline militaire par le biais juridique, pour éviter de donner l’impression de ne pas tenir leur troupe en main18 ». Ainsi donc, les informations tirées des archives des conseils disciplinaires ne rendent pas vraiment compte de l’ampleur du phénomène de l’embusquage dans l’armée allemande. Et quand bien même un soldat passe devant un conseil disciplinaire, le code de procédure pénal militaire allemand de 1872 n’utilise pas la notion de désertion pour qualifier ces délits et infractions, mais plutôt celle « d’éloignement non autorisé19 ». Et lorsqu’on en venait enfin au qualificatif de désertion – désertion en campagne –, elle n’était sanctionnée que de 5 à 10 années de prison, peine rarement appliquée. Il faut ajouter à cela le fait qu’il existait, dans l’armée allemande, un bon nombre de sanctions intermédiaires avant la peine de mort. Ces peines relevaient avant tout de l’humiliation publique, comme l’Anbinden, où l’on exposait le coupable devant l’armée20, le livrant aux violences verbales des hommes du rang.

En revanche, c’est l’abandon de poste devant l’ennemi ou le passage à l’ennemi qui est sanctionné par la peine de mort, mais condamnation, elle aussi, rarement mise en application : on estime à environ 48 le nombre d’exécutions, dont sans doute 18 pour désertion21, ce qui est peu comparé aux armées adverses. La sanction la plus répandue est généralement une mise à l’épreuve du soldat, soldat qui dans la plupart des cas pouvait être, par ailleurs, un bon élément et s’être même fait remarquer pour sa bravoure au combat. Et pour bon nombre d’hommes du rang ou d’officiers, le relâchement à l’arrière ou dans des lieux de repos, de retraite, est la condition de possibilité de la sévérité au feu : on n’envisageait pas une grande combativité sans admettre que des périodes de décompression ou de relâchement étaient nécessaire pour les soldats. En effet, le Ministère prussien de la guerre décréte en 1915 : « beaucoup de déserteurs étaient des gens jusque là irréprochables, qui ne s’étaient laissés entraîner que par la mélancolie liée à la séparation d’avec leur famille ». On peut également lire dans un autre décret de 1917 : « la désertion n’est pas provoquée par un mauvais esprit, mais par une pression mentale très forte, dans des circonstances spécifiques propices, sous influence extérieure22 ». De plus, le motif souvent invoqué lors des séances des conseils disciplinaires ou des procès est le refus de congé, ou bien l’absence de reconnaissance, par exemple par une décoration du commandement.

La permissivité et le relâchement disciplinaire expliquent sans doute pourquoi la désertion ou l’absence sans autorisation triple entre 1916 et 1917. L’application ou la non-application des sanctions contribue sans doute à forger une distinction dans l’esprit du soldat allemand, une distinction entre la désertion de l’armée et la désertion dans l’armée23. On pouvait ainsi se trouver au cœur des institutions militaires tout en se tenant dans le même temps dans ses marges. L’immensité de l’armée allemande permet un camouflage en son sein : il était assez facile de se procurer des papiers contre de l’argent ou de la nourriture. De plus, la dissociation juridique de ces pratiques et de la fuite à l’ennemi pouvait laisser penser au soldat allemand que franchir la frontière pour se rendre dans un pays neutre comme les Pays-Bas n’était qu’une métamorphose de la pratique de l’embusquage, et sans doute pas un passage à l’ennemi.

Si certains désertent pour les motifs exposés plus tôt, si d’autres se cachent dans les marges de l’armée allemande, ce sont les soldats issus des marges du Reich, issus des minorités ethniques ou nationales, qui fournissent les motifs de désertion ayant le plus avoir avec un mal-être, avec une situation pénible de par leur statut. Ainsi témoigne un ancien soldat :

« Nous, pauvres Alsaciens-Lorrains, sommes constamment pris pour des boucs émissaires […] Il est pourtant triste d’avoir appartenu 47 ans à l’Empire allemand, de bénéficier d’aussi peu de confiance, quand, ayant atteint la quarantaine, nous ne connaissons rien d’autre de l’Allemagne, et n’aurions rien connu des Français si nous ne les avions vu lors de cette guerre. Quand il est demandé à un individu de donner sa vie pour un pays, il doit avoir le sentiment de faire ce sacrifice ultime pour sa Patrie. Si on lui fait comprendre par tous les moyens possibles qu’il n’est en vérité qu’un enfant d’un autre lit, il est inexorable que naisse chez lui le sentiment qu’il ne s’agit pas de sa Patrie. Le pas supplémentaire vers le passage à l’ennemi est alors beaucoup plus facile. » 24

« Vieux renards » et jeunes bleus : une désertion à deux pôles

Une analyse précise et complète de plusieurs interrogatoires de déserteurs détenus aux Pays-Bas25 permet de mieux saisir le profil de ces soldats qui ont pu être tout d’abord tentés par l’embusquage (car certains affirment avoir déjà fait l’objet d’interrogatoires et de sanctions de la police militaire allemande) puis avoir franchi le pas de la désertion. De manière générale, on y trouve de très fréquentes évocations de la faim26, du moral en berne27, de la crainte d’un départ pour un front28 ou de l’attente de la paix29. Même si ces motifs de désertion fournis par les soldats allemands ne sont renseignés que dans un peu plus d’un quart des interrogatoires30, ils permettent déjà de rendre compte de leur état d’esprit. Mais malgré la diversité de ces affirmations, on remarque une nette prépondérance des remarques sur les mauvaises conditions alimentaires en Allemagne, tant dans la troupe que la population31, et du mauvais moral au sein des troupes32.

 
Soldats allemands. Carte potale. Collection particulière.

Pour ce qui est des remarques faisant état d’un moral meilleur, d’une situation plus correcte, on peut noter que l’attente de la paix est toujours manifestée au détour de ces affirmations33 et que ces deux mentions sont rarement dissociables. La paix est souvent évoquée en raison d’un soudain sursaut stratégique ou tactique dans l’armée allemande, en raison du pressentiment que l’Allemagne peut reprendre le dessus et l’emporter. Ainsi, par exemple, l’armistice signée avec les Russes en décembre 1917, ainsi que les fraternisations qui les accompagnent, provoque une amélioration du moral des soldats notée dans plusieurs questionnaires34 ; l’armistice laissant penser qu’une issue favorable à l’Allemagne est proche.

Un autre élément peut permettre de dresser un premier portrait de notre ensemble de déserteurs, c’est sa moyenne d’âge. Elle est assez élevée : 25 ans. Bien entendu, toutes les moyennes peuvent être brouillées ou parasitées par la présence dans l’ensemble observé de quelques soldats ou travailleurs d’un âge fort jeune ou élevé. Ainsi, ne pouvant en rester à la simple observation de cette moyenne, on peut au moins se rabattre sur un élément moins volatile : les classes d’âge les plus représentées35. En effet, l’armée impériale allemande étant une armée constituée majoritairement de conscrits, mais également de volontaires, elle effectue sa mobilisation par paliers, et par classe d’âge. En temps de paix, tout homme âgé de 17 à 45 ans doit se plier aux obligations de la formation et du service militaire et c’est entre 20 et 39 ans qu’ils sont incorporables dans l’armée, l’amont et l’aval de cette tranche d’âge étant reversé au Landsturm, les forces armées intérieures36. Prêter attention aux classes d’âge les plus représentées nous permet ainsi de tempérer notre moyenne, mais également d’identifier ces soldats en termes de générations de mobilisés.

Il n’y a pas de tranche d’âge unique qui se dégage en particulier, mais plutôt cinq classes d’âge : les classes 1912 (naissance en 1892), 1913 (1893), 1917 (1897), 1918 (1898), 1919 (1899), 1920 (1900). Et parmi ces quelques classes, il y a d’emblée deux tranches d’âge différentes remarquables : une tranche d’âge qui connaît la formation militaire dispensée en Allemagne avant le conflit – les classes 1912 et 1913 – et une autre (celle des autres générations mentionnées) qui, elle, est incorporée en temps de guerre. Il est également important de signaler que cette dernière tranche est celle de mobilisés prématurés. En effet, la classe 1917 est incorporée par avance de mars à novembre 1916, la classe 1918 à partir de novembre 1916 et celles de 1919 à partir de juin 1917, 1920 à partir mai 1918, comme la classe 1921 qui suit. Ces soldats commencent donc à servir sous les drapeaux alors qu’ils sont encore fort jeunes ; la classe 1918 est âgée de 18 ans, celle de 1921 de 17. Ils n’ont donc pas pu recevoir la même instruction militaire préalable que leurs congénères37

 
Soldats allemands. Carte potale. Collection particulière.

En affinant l’observation par l’examen de la date d’arrivée dans l’armée, on peut ainsi constater que l’écrasante majorité des déserteurs fait ses premières armes en 1917 ou en 1918. Par ailleurs, on remarque aussi que la somme des soldats passés sous les drapeaux avant la guerre – et y étant restés entre temps, ou ayant été rappelée dans les derniers mois de l’année 1914 – est presque aussi forte que la somme des années 1915 et 1916.

Ainsi, nous avons face à nous un corps de déserteur polarisé autour de deux classes d’âge : un groupe qui se distingue par une forte présence de vétérans, de soldats ayant connu les armes avant le conflit et qui servent depuis le début de la guerre et un second caractérisé par la forte présence de mobilisés précoces. Ces deux pôles sont ceux – pour le redire simplement – des soldats usés, brisés ou des soldats trop jeunes.

Cette désertion a donc deux visages : celui des jeunes bleus et des alter Fuchs, en allemand les « vieux renards », pour reprendre l’expression consacrée dans l’armée impériale pour qualifier les combattants expérimentés). Nous pouvons, à cet égard, évoquer deux parcours recomposés à partir des interrogatoires, ceux d’Albert Fanter et de Josef Fringe. Le premier est tout juste âgé de 18 ans en avril 1918 lorsqu’il est incorporé aux bataillons d’Ersatz du régiment d’infanterie n°65 de Juliers, en Rhénanie Prussienne. Né à Düren, non loin du lieu où il est affecté, il ne lui faut qu’un mois pour quitter le rang et rejoindre les Pays-Bas38. Quant à Fringe, depuis ses premières armes en Prusse-Orientale, à Lotzen39 à l’automne 1914, jusqu’à sa désertion dans la banlieue de Duisbourg en juillet 1917, où il est blessé, il monte la garde à Soldau40 en Prusse, tout autant que devant les usines de munitions allemandes41.

Au-delà de ces deux exemples qui rendent compte des deux profils les plus fréquents, il faut également souligner le fait que les classes d’âge mobilisées précocement ne sont pas uniquement des jeunes hommes arrachés à leurs foyers, mais également, dans le creux de de ces deux pôles, des individus qui ont peuvent servir soit au front, soit dans les usines et qui sont, de par leur statut d’ouvriers, des sursitaires au service. En effet, un service sous les drapeaux ne veut pas dire systématiquement affectation au front : service sur le front intérieur, en tant que Landsturm ou dans la Landwehr, des corps d’armée cantonnés généralement à l’arrière, à la surveillance des frontières, des zones industrielles ou des centres urbains.

Ces observations se trouvent confirmées par une analyse du temps passé sous les drapeaux ainsi que du moment précis de la désertion. On observe généralement une forte tendance à quitter les rangs au bout d’une année de guerre. La moitié des déserteurs tente de rejoindre les Pays-Bas moins d’un an après la première affectation, la tendance la plus forte étant après 4 à 6 mois passés sous les drapeaux.

 
Soldats allemands. Carte potale. Collection particulière.

Malgré cette forte présence de soldats n’ayant pas tenu plus de quelques mois au front, nous retrouvons de nouveau le second pôle que nous évoquions, celui des soldats servant de longue date, parfois même depuis le début du conflit. Nous sommes de nouveau face à des déserteurs qui servent dès le mois d’août ou dès l’automne 1914 ou les mois qui suivent, des soldats sans doute éprouvés par la durée du conflit, et à l’inverse des recrues fraîchement incorporées. Ici encore, c’est la même désertion à deux visages que nous découvrons : celle de Gerard Weber, qui quitte Coblence pour la Champagne dès l’automne 1914, et connaît les hôpitaux militaires allemands, le front de Flandre, les affrontements de Saint Quentin, et sert comme pionnier dans la Somme avant de déserter en août 191742 ; et celle d’une jeune recrue comme Heinrich Cloodt, qui quitte l’armée moins de deux mois après son incorporation en juin 191743. Mais au-delà de ce facteur générationnel, il est également possible de mettre en rapport les hausses de la désertion avec la chronologie du conflit.

Conformément aux différentes conclusions de l’historiographie sur la question de la désertion44, nous pouvons d’ores et déjà constater qu’un important ensemble de soldats déserte du mois d’août à octobre 1918, le mois d’août constituant l’envolée la plus saisissante de ce graphique. Nous pouvons ici rapprocher cette croissance du nombre de déserteurs avec les différentes vagues d’offensives allemandes de l’année 1918. En effet, l’Oberste Heeresleitung déclenche en mars 1918 la dernière grande série d’offensives allemandes contre les positions françaises et anglaises dans le secteur d’Amiens et d’Arras. Si les offensives sont un succès tactique indéniable, elle s’avèrent stratégiquement et logistiquement très coûteuses à l’Allemagne, coûteuses et vaines, car dès les mois de juillet et d’août 1918, l’Entente parvient à regagner le terrain perdu.

L’Allemagne connut ainsi dès les mois de juin et juillet 1918 une triple crise : humaine, matérielle et morale. Humaine, parce que le coût en hommes de cette offensive en termes de soldats et surtout de cadres compétents est extrêmement élevé. Cette armée humainement et capacitairement éprouvée trouve d’ailleurs face à elle, durant les offensives ultérieures, en plus des armées française et britannique résilientes, un corps expéditionnaire américain qui fait ses premières armes. Et si la participation américaine au sein de l’Entente est avant tout essentielle d’un point de financier et matériel, l’armée allemande ne manque pas d’être désarçonnée par la fougue des troupes américaines, fougue qui manque désormais cruellement aux soldats allemand45. La crise est également matérielle, car la motorisation de l’armée n’étant pas encore complète, bon nombre de préparatifs des opérations s’effectuent par hippotraction, provoquant ainsi une réquisition drastique de chevaux dans l’agriculture allemande, réquisition qui acheve d’abaisser le niveau des rations alimentaires du soldat allemand pour toute l’année 1918, de manière bien plus nette que ne le firent déjà plusieurs mois de blocus maritime46. Et pour finir, c’est une crise morale à laquelle l’armée est confrontée, car la mobilisation matérielle en vue de l’offensive de printemps est précédée d’une préparation morale dans toute l’armée. Les services de propagande du duumvir Hindenburg-Ludendorff tâchent de mobiliser les esprits des soldats et de la population en vue de l’offensive décisive, l’attaque qui doit permettre « d’emporter la décision47 ». Ainsi, ce long travail de galvanisation des soldats et de la population produt sans doute ses effets, mais le consentement à un fort engagement physique et moral qui n’est suivi d’aucune conclusion stratégique probante, si ce n’est l’organisation de nouvelles offensives pour le mois de juillet, assorties à l’échec de ces dernières, ne peuvent provoquer qu’une forte dépression dans l’armée allemande48, pour ne pas dire un effondrement du moral49. Cette triple crise du printemps et de l’été 1918 trouve sans doute une traduction dans l’augmentation de la désertion, dont nos données donnent ici un aperçu.

Deux autres moments où la désertion connaît une forte croissance ressortent : l’été et le mois d’octobre 1917. En Allemagne, l’année 1917 voit la mise en application de la loi du 5 décembre 1916 qui institue le service auxiliaire patriotique – Vaterländischer Hilfsdienst – c’est à dire la mise à disposition de l’armée de tout homme né entre le 1er mars 1858 et l’année 1900. Cette mesure s’étend également aux ressortissants de l’Empire austro-hongrois, comme en témoignent également les procès-verbaux d’interrogatoires de quelques-uns de ces hommes dans notre ensemble de déserteurs50. La séquence allant de juin à octobre 1917 est également celle dans laquelle se situent l’offensive de Nivelle, sur le front de l’Aisne, ainsi que celle de Passchendaele (Troisième bataille d’Ypres) allant du 31 juillet au 6 novembre, deux secteurs d’où proviennent bon nombre de déserteurs qui sont passés par le Front Ouest, comme c’est le cas par exemple du soldat Ernst Happel, qui déserte après plus de deux années passées sur le front des Flandres, entre Ypres et Arras51. Par ailleurs, c’est dans le contexte de l’offensive Nivelle que des mutineries commencent à éclater dans les rangs français. Au même stade, la grogne commençe à se faire sentir dans les chantiers navals allemands52. Il n’est sans doute pas insensé de penser qu’une certaine démobilisation, voire même des désertions, puissent refléter cet effritement du consentement à l’effort de guerre.

 
Soldats allemands. Carte potale. Collection particulière.

Une géographie de la désertion ? Approche étatique et locale

Il apparaît possible de rendre compte de la désertion dans l’armée allemande dans son inscription territoriale, c’est à dire à la fois dans les régions de l’Empire les plus touchées par le phénomène ainsi que dans les zones du front ou de l’arrière où elles se produisent le plus. Partant des informations fournies par les déserteurs, on peut dresser une carte de cette désertion.

On est en premier lieu frappé par le caractère écrasant des déserteurs étant originaires de Rhénanie prussienne. Cette majorité de désertions en provenance de cette région s’explique en premier lieu et en grande partie par la familiarité des soldats originaire des secteurs proches des Pays-Bas.

Outre la proximité avec un territoire neutre, c’est avant tout le statut de nœud ferroviaire et le caractère industrialisé de la région qui prime : en effet, bon nombre de déserteurs savent tirer profit de la densité des rouages de l’appareil de transfert de troupes allemandes via les connexions ferroviaires pour déserter entre deux gares, profiter de l’activité et de la confusion qui règne dans ces lieux pour sauter d’un train effectuant un transfert dans ces régions. Les axes ferroviaires sont ainsi un élément décisif dans le parcours des déserteurs vers la Hollande. Par exemple, lors de son interrogatoire, le soldat Leo Alfred Manske souligne qu’il profite de sa présence dans le secteur de Trêves, pour remonter les réseaux ferroviaires jusqu’à Mönchengladbach, et ainsi passer la frontière53. Il en va de même pour le soldat Heintisch Buss, qui regagne sa région d’origine, près de Borken, par les trains et les lignes dont il est familier54.

L’autre temps privilégié pour ces déserteurs rhénans est bien évidemment celui d’un retour en permission dans leurs foyers, moment qui permet au déserteur de prendre la route de la Hollande plutôt que celle du front. On peut ici évoquer le soldat Wilhelm Oppdehipt, qui rentre chez lui avec l’autorisation de l’armée, dans le secteur d’Essen, et déserte en septembre 191855. Une région peut donc être le terreau de la désertion, tout autant qu’une étape de celle-ci, sur la route des Pays-Bas.

L’élément ferroviaire explique ainsi la présence, parmi les entités les plus représentées, du « Secteur Hanovre » et du Brandebourg (qui a en son cœur le nœud ferroviaire berlinois). Ces deux régions se situent toutes les deux sur un axe ferroviaire fort dense, dynamique et très bien connecté avec le bassin rhénan et par extension avec la frontière néerlandaise. On observe également, au niveau des origines géographiques, une fréquence des villes comme Düsseldorf, Berlin, Kiel ou Leipzig et on remarque ainsi une forte corrélation entre les nœuds les plus denses à l’Ouest et au centre du pays et les lieux où notre échantillonnage est le plus concentré. À l’inverse, plus on va vers l’Est et plus on entre dans des provinces moins bien reliées aux réseaux ferroviaires, moins on a une désertion forte, comme cela s’exprime avec les provinces de Prusse Orientale, de Poméranie et de Posnanie.

 
La gare de Leipzig. Carte postale. Collection particulière.

Néanmoins, ces régions orientales ne sont pas exemptées de déserteurs. Bien qu’en nombres plus restreints dans cette partie du Reich, certains soldats décident de rompre le ban en raison de leur patriotisme polonais56. Celui-ci est certes rarement affiché avec clarté, mais lorsque de telles revendications sont clairement exprimées dans les interrogatoires, elles émanent généralement de soldats originaire de la région de Posen (Poznan, en actuelle Pologne), ville qui est un des cœurs battant du nationalisme polonais au cours du XIXe siècle57. D’autres déserteurs polonais sont également présents parmi les soldats détenus aux Pays-Bas, mais lorsqu'ils sont issus de régions telles que la Poméranie ou encore la Silésie, ils ne font pas état de telles revendications et fournissent généralement les mêmes motifs de désertion que la majorité des soldats allemands : la faim et le moral en berne58.

Au fil des interrogatoires, le déserteur détenu en pays neutre révèle également avec précision ses affectations tout autant que ses permissions ou ses convalescence : par exemple, les mentions des évacuations et des hospitalisations, parfois en série, nous permettent de constater que 19,5 % d’entre-eux ont été blessés au cours du conflit, parfois à plusieurs reprises. Les interrogatoires nous renseignent donc souvent de manière assez détaillée sur les postes occupés, les séjours en hôpitaux, etc. Ces informations nous permettent de saisir plus précisément le vécu des différents soldats, dont pour le moment nous n’avions un aperçu uniquement sous l’angle du temps passé au front, des semaines passées sous les drapeaux. Il nous faut également rappeler que ces soldats ne passent pas l’intégralité de leur parcours sur la ligne de front. En effet, le temps du soldat est jalonné de trêves, de moments de coupures, mais pas uniquement grâce aux permissions ou aux retours en foyers.

Ces ruptures dans la vie au feu sont également dues aux phénomènes de roulement des troupes propres à toutes les armées : passé un certain nombre de jours à être impliqué dans les combats au front, une autre compagnie vient assurer la relève, cela afin de ménager les efforts, remplacer les blessés, envoyer les troupes se reposer à l’arrière59. En dehors de ce roulement propre à chaque division, le commandement et les officiers en charge des affectations peuvent choisir de faire passer des soldats de l’armée d’active dans la Reserve, la Landwehr, dans l’Ersatzreserve ou bien dans le Landsturm.

Comme la transparence de ce nom l’indique, la Reserve est un ensemble de corps d’armée en surplus, gardé en réserve et devant être aussi aguerri que les corps d’armée d’active, puisqu’étant le premier réservoir dans lequel l’armée puise pour compenser les pertes au combat. En temps de guerre, un roulement peut exister entre des troupes de la Reserve et la ligne de front. Cependant, toutes les armées et toutes les régions militaires ne peuvent pas constituer un surplus de troupes prêtes à être utilisées sur le champ. Seules quelques provinces et secteurs sont en mesure d’appliquer pleinement cette pratique : Berlin, la Prusse, la Silésie et la Westphalie60.

Les corps de la Landwehr sont un ensemble de soldats mobilisés généralement par les régiments d’active et qui doivent se consacrer à des tâches de terrassement, d’entretien et d’assistance au régiment d’active, de l’occupation de place fortes en retrait, de garde à la frontière ou de surveillance du littoral. Leur équipement est rudimentaire, voire même obsolète, et bien moins qu’une réserve, on peut plutôt les qualifier d’auxiliaires des troupes d’active61.

 
Soldats de la Landwehr. Carte postale. Collection particulière.

En temps de paix, l’Ersatzreserve désigne une catégorie de réservistes âgés de 20 à 32 ans. Cette réserve est constituée en raison de l’incapacité de l’armée allemande d’intégrer plusieurs couches de la population dans l’armée, dans les années d’avant-guerre. En temps de guerre, sa fonction est de combler les manques des régiments d’active, de la Reserve et de la Landwehr auxquels elle est nommément rattachée. Pour assurer ce renouvellement des différents corps d’armée, l’Ersatzreserve est composée d’une compagnie de convalescents qui sortent d’un séjour en hôpital, d’une compagnie d’hommes qui ne sont aptes qu’au service en garnison ainsi qu’un ou deux dépôts de recrues (Rekrutendepot). Durant la guerre, l’Ersatzreserve est le carrefour de la circulation des blessés du front qu’on souhaitait encore garder sous les drapeaux, des recrues qu’on voulait incorporer dans des régiments d’active au plus vite et d’hommes aux capacités physiques limitées, ne pouvant s’adonner qu’à des tâches très restreintes62.

Enfin, le Landsturm peut se rapprocher de ce qu’on appelle dans l’armée française les « territoriaux » et englobe les classes de combattants les plus âgés, de 38 à 42 ans en temps de paix. Si l’équipement de la Landwehr est obsolète, celui du Landsturm, en plus d’être dépassé est totalement hétéroclite : fusils des guerres précédentes ou de provenance étrangère, uniformes souvent dépareillés, etc.

Si nous revenons aux parcours et états de service des déserteurs, il est frappant de constater que 41,24 % d’entre eux passent par un bataillon de l’Ersatzreserve. Les autres corps d’arme alternatifs à l’armée d’active sont également évoqués, mais c’est l’Ersatz et les Rekrutendepot qui font l’objet du plus grand nombre de mentions. C’est ce corps d’armée qui est d’ailleurs un de ceux sur lequel on est le mieux renseigné63. Ce phénomène peut s’expliquer de différentes manières. Tout d’abord, comme cela a été dit, bon nombre de ces déserteurs sont incorporés pendant le conflit. Ils doivent donc passer par l’antichambre du service qu’est la formation au sein des Rekrutendepot. D’autre part, l’analyse statistique nous apprend que 19,5 % des déserteurs introduits dans la base de données sont blessés au cours du conflit, parfois à plusieurs reprises. Or l’Ersatz est une étape obligée vers la réintégration dans l’armée d’active ou l’affectation définitive aux tâches peu éprouvantes des compagnies de convalescents des Ersatz ou même du Landsturm.

Le bataillon d’Ersatz représente, à cet égard, un lieu privilégié, qui réunit différentes caractéristiques et paramètres déjà évoqués pouvant favoriser la désertion. Généralement situés non loin de la ligne de front, l’Erstzdepot n’en est pas moins hors du feu, hors du rythme des combats : il en préserve les combattants tout en le maintenant à l’horizon des jeunes recrues craintives comme des blessés qui, face au désœuvrement et dans la douleur de leur convalescence ont tout le loisir de se poser la question de la fuite. De plus, les Ersatz stationnent généralement en arrière de la ligne de front, dans des casernes ou dans des baraques situées au cœur des aires d’allers et venues de l’armée et de sa logistique, dans cette immensité plusieurs fois évoquée, cet immense ensemble de replis dans lesquels on peutt sans peine se soustraire au regard des autorités.

Mais, pour en revenir aux blessures, il est intéressant de constater que les interrogatoires mentionnent parfois dans le détail les hôpitaux qui prennent en charge les déserteurs après leur évacuation. Aussi mentionne-t-on très souvent les Lazaret et autres Kriegslazaret ou Etappenlazaret, qui sont des hôpitaux accueillant principalement les blessés graves, nécessitant des soins poussés et un long suivi, alors qu’on trouve peu de déserteurs qui n’ait été pris en charge que par un simple Hauptverbandplatz ou Feldlazaret, gérant principalement les pathologies légères. Les déserteurs subissent ainsi des blessures nécessitant un long séjour dans un hôpital pratiquant des soins lourds64. Le choc traumatique que constitue une blessure de guerre peut sans doute en motiver plus d’un à quitter secrètement le rang, si tout du moins il a le minimum de condition physique requis pour ce faire. Durant le mois de septembre 1918, c’est sans doute ce qui pousse le soldat Jacob Meyer à déserter : originaire de Düsseldorf, envoyé se battre à l’Est dans les Pays Baltes en 1917, il est blessé et hospitalisé sur place dans un Kriegslazaret, puis envoyé dans un autre lazaret à Thron et ensuite à Düsseldorf, où il demeure en convalescence pendant plusieurs mois. La peur de retourner au front clairement exprimée dans son interrogatoire – alors que l’armée allemande racle les fonds de tiroirs depuis la fin de l’été – est sans doute un motif important dans sa décision de trouver refuge en Hollande. Il est d’ailleurs significatif de voir qu’une des premières entrées de cet interrogatoire est la mention du lieu où il a été blessé, à Jakobstadt, aujourd’hui Jēkabpils en Lettonie65.

 
Dans le bourg de Jakobstadt. Carte postale. Collection particlière.

Ainsi, outre le choc physique et traumatique que peuvent constituer les blessures, c’est l’érosion morale et psychologique qui peut avoir une incidence sur la décision de quitter le rang ou d’y rester. En effet, comme nous avons pu le remarquer en mentionnant les durées et la longévité de certains parcours, nous avons également affaire à des vétérans, des soldats que le front et l’armée ont profondément éprouvé dans la durée : frappés par les combats, émoussés par la vie au front, à l’Est comme à l’Ouest, les soldats sont également transportés au gré des besoins de l’armée, déplacés, affectés, réaffectés. Il est difficile de penser qu’après des mois, voire des années de combats, une loyauté, même la plus ferme, ne puisse s’effriter, s’éroder.

En plus des combats et des aléas du front, certains déserteurs peuvent être éprouvés non seulement par les combats, mais aussi par les blessures – parfois à répétition – subies au front. Passer de l’armée d’active à l’hôpital, pour ensuite continuer son service dans l’Ersatzreserve ou parfois le Landsturm peut être vécu comme un soulagement par certains soldats, mais par d’autres, il se peut également que la chose soit ressentie comme un déclassement, eu égard au parcours de vétéran, de briscard, d’alter Fuchs, dont certains pouvaient se prévaloir. Avoir passé tant de temps au front, pour ne plus pouvoir y servir, mais dans le même temps ne pas être démobilisé, et n’être sous les drapeaux pour ne plus stationner qu’à l’arrière, peut instaurer une forme de malaise au sein des rangs. Malaise d’autant plus amplifié que les hommes des Ersatzreserven ne jouissent pas des mêmes compensations matérielles, en termes de rations alimentaires, que les hommes de l’armée d’active. Les Ersatz consentent bien plutôt aux mêmes sacrifices que l’arrière, qui voit les meilleures rations de nourriture réservées aux soldats de l’armée d’active et aux travailleurs en usine.

Mais comme nous le disions, le phénomène inverse peut-être observé également. Si les vétérans peuvent trouver leur condition insensée, les jeunes recrues dans l’attente de l’envoi au feu peuvent nourrir une crainte intense, favorisant la tentation de la fuite. Ainsi, le jeune soldat Johann Nau, incorporé en juin 1918 à l’âge de 18 ans, décide-t-il de déserter après ses quatre mois de formation dans l’Ersatz, quatre mois passés avec les combats pour horizon, la maladie et les hospitalisations régulières comme conditions66.

L’autre soldat, qu’il soit l’ennemi ou le camarade est peu mentionné dans les interrogatoires. Le frère d’armes apparaît néanmoins parfois au détour d’une remarque ou d’une autre : on évoque ainsi, dans certains interrogatoires polonais, la mort au combat de compagnons d’armes ou un autre interrogatoire met en avant une désertion collective. Le statut même de déserteur, en tant que soldat qui murit un projet de fuite – projet qu’on doit tenir secret – a pu faire l’objet de concertations entre deux soldats qui décident de fuir ensemble, mais ce fait est très rare. Il est exceptionnel dans le corpus et révèle bien le statut très particulier de ces soldats qui décident de quitter le rang67.

Entre les lignes : des parcours guerriers

Les déserteurs, en plus de livrer certaines informations et données sur l’état de l’armée allemande témoigent, à un niveau plus humain, de leurs parcours de guerre. Difficilement synthétisables en une série de données utilisables tactiquement, dans l’immédiat, ils forment une série de témoignages permettant de rendre compte du moral des troupes, de leur parcours – bref ou long – d’un front à l’autre ou d’une usine à l’autre. Ces récits suscitent sans doute un certain intérêt chez les officiers qui les examinèrent.

 
Soldats allemands. Carte postale. Collection particulière.

Certains témoignages peuvent également nous éclairer sur les motifs qui président à la fourniture en masse de renseignements. À la fin de son interrogatoire, l’ouvrier Andreas Ney68, un détenu ayant donné d’amples renseignements ainsi qu’un plan fort précis de la zone industrielle de Cologne, en vient à relater une récente visite de Guillaume II aux usines Krupp à Essen. Ney raconte que le Kaiser aurait demandé à l’assemblée d’ouvriers et d’employés s’ils étaient près à se battre jusqu’au dernier homme. A quoi l’aréopage aurait répondu Oui ! d’une seule voix. Une telle anecdote, dans la bouche d’un ouvrier, ayant quitté son poste, en dit long sur la cassure, l’isolement que ce dernier peut ressentir à l’égard de ses congénères, mais aussi sur les racines d’une résolution à la désertion, et sans doute d’une résignation l’amenant à libérer sa parole devant ses interrogateurs.

De même, dans les derniers paragraphes d’un questionnaire de trois pages intégralement consacré à l’organisation de la flotte allemande, et plus particulièrement aux U-Boote allemands, le marin Hermann Karl Slaghuis fait part à son interrogateur de sa lassitude69. Originellement en service dans la 11ème Werft Division, basée à Wilhelshaven, il veut s’engager plus fortement dans les opérations de la flotte allemande. Les mouvements de la Hochseeflotte étant partiellement restreints, en raison du minage du littoral et de la prépondérance de la flotte anglaise dans la Mer du Nord70, la seule possibilité pour lui est de passer dans la flotte des U-Boote. Ainsi, après un mois passé à l’école de la flotte impériale, la Marineschule Mürwik, basée à Flensburg, il set dans les services des Unterseebootsflotille dans les ports de Kiel et d’Emden. Il est affecté à bord du SM U-97, depuis le lancement du vaisseau en avril 1917 jusqu’à sa désertion en août 1918. Après plusieurs mois de service et de patrouille en mer, après le torpillage de plusieurs navires marchands, Slaghuis avoue à l’officier des services de renseignements que même dans de bonnes conditions de vie, les membres de la Unterseebootflotille ne sauraient tenir éternellement ainsi, tant la pression est grande, tant « la situation est mauvaise, car les pertes sont si grandes [en comparaison du] peu de risques que courent les équipages des grands navires»71. Une telle inégalité de traitement, mais surtout de régime de combat et d’efforts, peut créer du ressentiment, des dissensions ; en définitive effriter la loyauté des marins.

Hormis ces deux exemples précis, on trouve généralement des récits d’hommes du rang, de l’armée de terre, représentant la plus forte majorité des déserteurs interrogés par le service Hunter. Y sont évoqués les appels sous les drapeaux de septembre 1917, les formations de l’armée allemande, les camps de prisonniers, etc. On y raconte, parfois par le menu, la vie dans les zones militaires, les gestes répétés dans les usines, les camps d’entraînement – comme la manipulation de plus en plus prépondérante de la grenade et du lance-grenades72 – ainsi que le rythme des journées ou les conditions de vie73. Les préparatifs des grandes offensives du printemps de l’année 1918 y sont également décrits assez longuement74, avec tout autant d’éléments qui ont pu attirer l’attention des agents de renseignements du réseau Hunter.

A contrario, si certains documents sont plus brefs, et nous disent moins de choses des activités qui ont pu être celles d’autres soldats, ils nous montrent tout de même des parcours d’une grande densité, en termes d’affectations, de distances parcourues d’un bout à l’autre du Reich, d’une tranchée à l’autre des territoires contrôlés par la Triplice. Pour ne prendre qu’un exemple, nous pouvons nous attarder sur le cas du soldat Prickartz. Originaire d’Ehrenbreitstein il est incorporé dans le VIIIe A.K., corps en charge de la défense de la frontière orientale du Reich, jusqu’aux localités de Suvalki et Sejny, signalées dans l’interrogatoire et correspondant en fait aux positions tenues à la veille d’une offensive de l’armée allemande : autour de ces villages ont lieu les dernières manœuvres de la Seconde Bataille des Lacs de Mazurie. Blessé à Berźniki, durant la traversée de la forêt d’Augustowska, il est hospitalisé à l’arrière dans le Mecklembourg. Une fois remis, c’est encore avec le VIIIe A.K. qu’il arrive en Argonne, où il stationne quelques temps. Bien que son régiment ait été engagé dans la bataille de la Somme, pendant l’été, les combats ne sont pas évoqués dans l’interrogatoire. On signale surtout qu’il est employé dans les transports. En raison de sa blessure et d’une certaine diminution physique, il est vraisemblablement affecté sur le nœud ferroviaire se trouvant à Grandpré. Avec la seconde hospitalisation, et en regardant à nouveau son parcours de manière plus précise, nous pouvons observer un déclin progressif de son activité dans l’armée : si le début de son conflit est marqué par la participation à la défense du Reich sur la frontière orientale, sa blessure le relègue à des tâches à l’arrière du front. Prickartz a sans doute peu de chance d’être renvoyé, mais la guerre s’éternisant, il n’est pas vain de supposer que la lassitude a raison de sa loyauté. Les services de renseignements anglais ont sans doute pu noter la grande mobilité de ces soldats, transportés d’un front à l’autre, quand ils ne le sont pas d’une usine au front, et vice versa75.

 
Soldats allemands. Carte postale. Collection particulière.

Avant d’aller plus loin dans notre analyse, et d’évoquer des hommes qui sont affectés aux usines allemandes, il nous faut évoquer un dernier aspect, commun à plusieurs des interrogatoires que nous venons de voir : dans certains cas, les soldats sont relativement au fait de la manière dont la guerre est conduite. Certes, ils n’en connaissent pas les détails, mais le militaire de base ne semble pas dépourvu d’une vision assez globale de ce qui se passe : en effet, de temps à autres, il croise un soldat à qui il demande d’où il vient, où il va, ce qu’il pense qu’on va l’envoyer faire à tel ou tel endroit du front. Ainsi devinent-ils, sans grande peine, que des offensives se préparent sur tel ou tel front, que des troupes vont être envoyées en Italie, en Roumanie, que les permissions ont été annulées, etc. Par ce qu’ils voient des transports de matériel, des convois d’armes, et ce qu’ils apprennent de par des permissionnaires qu’ils croisent ou des parents qui leur écrivent, ils sont relativement conscients des différents mouvements qui agitent le Reich.

Par exemple, si les Allemands subissent les offensives franco-anglaises, et si l’OHL renonce à opérer, en 1917, une offensive de grand style sur le Front Ouest, il n’en va pas de même pour le front italien où, pendant l’été 1917, elle prépare l’offensive de Caporetto du 24 octobre et sur le front Est où elle organise celle de Riga, qui a lieu le 1er septembre. Ce que ces deux offensives ont en commun, c’est un degré de préparation, de mobilisation et de déploiement logistique très poussé : de longs déplacements par trains de troupes et de matériel vers les zones de front, la mise en place de lieux de stationnement pour les soldats et le personnel de l’armée, etc. Déplacer un corps d’armée actif nécessite 140 trains – c’est à dire, plus ou moins 6 000 wagons – et 85 pour un corps de réserve76. De tels ordres de grandeur nous donnent à entrevoir le caractère extrêmement conséquent de telles préparations. Immensité de l’armée allemande, qui permettait ainsi le camouflage, l’embusquage, la dissimulation en son sein ou en ses marges, et sans doute par extension la fuite hors des rangs. Il est en effet difficile d’imaginer que de tels déplacements n’aient pu générer des occasions de fuite ou de désertion pour les soldats allemands.  

…et travailleurs

Ces témoignages peuvent donc constituer une précieuse source d’information pour les services de renseignement qui les interrogent. La bataille menée par l’Allemagne est également, et peut-être même avant tout, industrielle et économique, et les questionnaires du réseau Hunter le donnent à voir. En effet, une fraction non négligeable de ces hommes ayant quitté l’Allemagne pour les Pays-Bas est affectée, à un moment ou un autre de son parcours, à des tâches et des fonctions dans des usines du Reich77. Un premier élément remarquable dans les témoignages des ouvriers est le signalement régulier de la présence de prisonniers travaillant dans les usines78. Les services de renseignement y prêtent eux-mêmes attention. Les déserteurs rendent donc compte numériquement et qualitativement de la présence de cette main d’œuvre étrangère, parfois volontaire, régulièrement captive, mal traitée et sous-payée.

 
Ouvriers allemands, 1917. Carte postale. Collection particulière.

Bien souvent brefs, les interrogatoires permettent aux agents du renseignement de saisir quelques traits saillants des environnements à travers lesquels évoluèrent les déserteurs. En premier lieu, l’ensemble des interrogatoires rend bel et bien compte de l’immensité du complexe militaro-industriel allemand et du déploiement de moyens humains tout aussi inédits dans le domaine économique que militaire, ne serait-ce que du point de vue des classes d’âge, de la mobilisation des femmes, des prisonniers, etc. En second lieu, certains interrogatoires exposent en quelques lignes la grande variété du parc industriel allemand tel qu’il est impliqué dans l’effort de guerre, autant en termes de structures que d’activités. Enfin, un autre élément marquant reste la forte mobilité des travailleurs allemands, qui doivent bien souvent travailler dans plusieurs lieux différents à la suite, que ce soit au sein du bassin rhénan, comme à l’échelle de toute l’Allemagne en passant par des affectations occasionnelles au front. Le cas du soldat Enger qui, à peine mis en service dans une usine, est envoyé au front, en estun bon exemple. Étant donné sa classe d’âge (1896), s’il n’est pas déjà sur le front, c’est sans doute qu’il passe la plus grande partie du conflit dans des usines, avant d’être envoyé brièvement chez Krupp. Son témoignage, comme tant d’autres, révèle une forte mobilité des travailleurs, mobilité constatée par les agents interrogateurs ; l’armée et l’industrie étaient les deux pôles d’un flux tendu. Au sein de celui-ci, les ouvriers et travailleurs sont retirés du front au profit des usines, ou l’inverse en faveur des théâtres d’opération79.

Pour l’agent de renseignement et les services anglais, il est difficile de dater les vagues de retrait des tranchées ou des chaînes de production. Cette difficulté reste tout autant valable pour l’historien. En effet, l’industrie et les commandants de régions militaires se livrent une bataille des effectifs et des exemptions qui fait exploser la mobilité des travailleurs d’une usine à l’autre80. Ainsi, à la lecture des interrogatoires, on trouve parfois des déserteurs qui cumulent cinq affectations, dans cinq usines ou fabriques différentes. Par exemple, Ludwig Gustav Fischer, connaît tour à tour une affectation au front, puis deux affectations dans des usines différentes et à des postes variés, puis est renvoyé au front, avant de revenir en faction à l’arrière81.

Difficilement quantifiable ou synthétisables en données brutes, ces témoignages n’en laissent pas moins se dessiner, devant les yeux du lecteur ou de quiconque voudrait exploiter cette documentation, l’image d’un front happant à lui toutes les forces vives que les autorités militaires allemandes peuvent lui envoyer.

Les mers et les airs

Bien que présents en plus faible nombre dans nos interrogatoires82, les hommes mobilisés pour la marine et l’aviation donnent également à voir au renseignement anglais l’effort de guerre allemand depuis les forces navales et aériennes. Par exemple, les déserteurs Bernhard Humma83 et Frans Weber84 fournissent tous les deux bon nombre d’informations relatives à la flotte allemande. Nous évoquerons également les cas des déserteurs Karl Buschinski et Ernst Eckmann, deux soldats de l’infanterie de marine qui prennent la fuite de conserve85.

 
L'infanterie de marine défile à Wilhelmshaven. Carte postale. Collection particulière.

Le déserteur nommé Humma commence son service dès avril 1916, dans la Seewehr, équivalent maritime de la Landwehr. Dans ce corps d’armée, ses tâches semblent avoir été principalement logistiques, c’est à dire l’entretien et le renforcement de positions de défense du littoral, dans un premier temps sur la mer du Nord, non loin de la frontière néerlandaise. Il occupe également des fonctions de surveillance sur la base de Wilhelmshaven, jusqu’en septembre 1916, moment où il est affecté à une autre division : la Division de Matelots (Matrosendivision) de Wilhelmshaven, plus précisément la 2ème. Ces divisions sont le réservoir de constitution des équipages de navires. Une division peut donc rester longtemps au port, attaché à un navire, comme ici Humma au SMS Westfalen, sans sortir en mer. Ce sont en définitive des groupes de matelots qui peuvent parfois rester pendant de longues périodes à quai. Un tel statut au sein de l’armée, celui d’élément relativement stable en termes d’affectation, peut contribuer à fournir un témoignage clef pour les services de renseignement.

Toujours est-il que pour le peu d’expéditions et sorties en mer organisées par la flotte, elles sont généralement – à quelques exceptions près – de courte durée. A cet égard, nous pouvons prendre en exemple les navires mentionnés dans l’interrogatoire du matelot Humma, le SMS Nassau et le SMS Westfalen. Le premier participe certes à la bataille du golf de Riga, en 1915, et à celle du Jutland en 1916 mais jusqu’à la fin de la guerre il croise occasionnellement en Mer du Nord. C’est le SMS Westfalen, auquel est rattaché le matelot Humma, qui est le plus concerné par les expéditions en mer, croisant tour à tour en mer du Nord contre la flotte anglaise et en mer Baltique contre la flotte russe96. Ces très rares mentions de sorties en mer nous renvoient à ce qu’est la condition des marins pendant la Première Guerre mondiale, et plus particulièrement celle des marins allemands : quelques mouvements maintenus dans un « corset de fer »87.

Quant à l’interrogatoire de Frans Weber, on y trouve le compte-rendu des tâches auxquelles cet homme peut être affecté dans la Werft Bau Division, et plus précisément dans le Kaiserliche Werft, le chantier naval du port de Wilhelmshaven. Weber y travaille principalement sur les torpilles, mais les activités des quelques 11 500 ouvriers88 du chantier sont très variées, allant de la construction de navires à leur réparation, en passant par l’élaboration d’hydravions expérimentaux. Le niveau d’ingénierie du complexe naval y est très poussé. Les parcours tels que celui de Weber peuvent susciter l’intérêt du réseau Hunter par leur caractère technique et logistique. Ce sont certes des fonctions que l’on retrouve dans l’armée de terre, mais pas dans de telles proportions. Les effectifs de la flotte ne s’élèvent qu’à 79 000 hommes, ce qui est évidemment bien peu en comparaison de l’armée de terre. Mais c’est véritablement la marine qui a les corps d’armée les plus professionnalisés : mécaniciens, techniciens, travailleurs sur les chantiers navals, métallos, etc. En témoignent les connaissances techniques très précises délivrées par les marins au sujet des vaisseaux auxquels ils peuvent être rattachés. Peu de déserteurs de l’armée de terre, à l’exception de certains artilleurs, livrent des informations techniques aussi précises. Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale et la généralisation des divisions de blindés pour voir un tel rapport s’installer dans l’armée de terre entre techniciens, mécaniciens et hommes du rang. Hormis des aspects techniques que nous venons d’évoquer, les propos des déserteurs portent également sur les mauvais traitements subis dans la marine.

Les soldats des Marine-Divisionen Karl Buschinski et Ernst Eckmann, donnent également à voir, au personnel des services de renseignement anglais, les fonctions multiples de ces divisions. Ces soldats peuvent être affectés à la surveillance tout autant qu’à l’entretien des bases d’U-Boote qui stationnent à Zeebrugge, des chasseurs de mines, des torpilleurs et destroyers. En second lieu, le corps de marine de Flandre est également en charge des batteries côtières de Flandre à Knokke, Zeebrugge, Blankenberge ou Ostende89. Avec le témoignage de ces soldats ayant déserté dans les derniers mois de la guerre, le réseau Hunter ne peut que prendre conscience de l’état de délitement progressif des positions allemandes en Belgique. En effet, si les premières lignes mentionnent principalement les pénuries des effectifs des troupes dans la marine, on en vient assez vite à l’évacuation des positions allemandes, qui passe par une mise hors d’usage des armes ou batteries non transportables. On jette ainsi les armes dans le canal, démantèle les sous-marins et – scène éloquente s’il en est – on détruit la batterie Hindenburg. Ces témoignages montrent bien des scènes où la panique et un certain désordre régnent. On peut noter, par exemple, la menace de mort – proférée par des officiers – qui planet sur quiconque s’adonnerait au vol ou à qui fauterait le trouble durant la retraite.

Mais parmi le matériel que peut analyser les officiers du War Office, on ne rencontre pas que des éléments relégués aux marges du service actif ou au bas de la chaîne hiérarchique. En témoigne ainsi l’interrogatoire d’un aviateur allemand, August Neiss90. De prime abord, ce cas a sans doute de quoi surprendre les interrogateurs et les analystes du War Office. En effet, ils ont face à eux un soldat qui, une fois passé par les écoles d’aviation nouvellement créées du Reich, intègre une des escadrilles les plus prestigieuses de l’aviation allemande, qui comprend en son sein un as comme Josef Jacobs91. Cette dimension est d’ailleurs soulignée par la mention qu’August Neiss fait de l’officier qui dirige le Jagdgruppe II (Jagdstaffel Geschwader II), le capitaine (Hauptmann) Rudolf Berthold, officier décoré de la Croix de Fer et de l’Ordre pour le Mérite pour ses hauts faits d’armes. La hiérarchie et l’organisation que décrit l’interrogatoire sont celles des escadrons (les Jastas, abréviation de Jagdstaffeln) de l’aviation allemande, dont les pilotes de chasse constituent une nouvelle élite92. L’aviation allemande, dès 1916, prend en effet un nouveau tournant, qui épouse celui du Programme Hindenburg. L’aviation militaire allemande, se contente principalement d’une posture défensive sur le front de l’Ouest, mais l’OHL entreprend une offensive aérienne stratégique contre l’Angleterre, » parallèlement à sa guerre sous-marine, dans une tentative pour éliminer la Grande-Bretagne du conflit» 93.

 
Aviateurs allemands. Carte postale. Collection particulière.

Interrogé par la police militaire néerlandaise et les services de renseignement britanniques, le soldat Heinrich Zeger rend compte d’une séquence temporelle assez brève, qui va de janvier à avril 1918. Brève, mais dense, car le soldat Zeger relate, durant son entretien avec les interrogateurs, des préparatifs l’offensive du printemps 1918 sur laquelle le Haut Commandement allemand compte grandement pour percer les lignes ennemies et ainsi reprendre des manœuvres de « grand style » et « emporter la décision ».

Quelques lignes donnent lieu à une description assez précise de l’offensive. Tout d’abord le récit de la préparation avant l’assaut, notamment avec l’artillerie et l’usage du gaz, etc. Il est également à noter que le soldat Zeger évoque des tanks allemands, manœuvrant avant l’offensive. Dans les quelques heures qui précédèrent l’heure H, des moyens colossaux sont mis en œuvre : pour préparer l’enfoncement de la ligne de front, ce ne sont pas moins de 6 600 canons qui sont mobilisés et déployés le long de la ligne de front94, pièces qui permettent un combat « bref et d’une incroyable férocité95 ». Ces déploiements de moyens ne doivent pas « laisser une mauvaise herbe » face à l’assaut des troupes allemandes, qui sont en tout et pour tout au nombre de 750 000 hommes.

Si l’interrogatoire nous fournit également bon nombre de détails sur l’offensive à proprement parler, détails qui recoupent les déclarations des soldats ayant pris part aux entraînements dans les camps de l’armée allemande, nous pouvons constater que le questionnaire prend un autre tournant dès que l’aventure de l’offensive de printemps s’achève pour le soldat Zeger. En effet, c’est à la suite d’une hospitalisation et dès sa réintégration à la troupe – troupe qui est assez vite envoyée en reconnaissance et sans doute pressentie pour reprendre part aux nouvelles offensives – que Zeger déserte. Nous avons ici un cas particulier qui rencontre bel et bien une tendance que nous avions décelé dans notre analyse statistique. Le déclenchement des offensives de printemps semble avoir été un moment charnière dans le consentement des soldats allemands à persévérer dans l’effort de guerre.

Précédemment évoquée, l’offensive du printemps est voulue et présentée par Ludendorff et les services de propagande de l’armée allemande comme l’offensive pour la paix, l’attaque libératrice qui allait permettre de l’emporter. Ainsi, si cet horizon de paix mobilise et conforte le consentement de la population, après l’essoufflement de l’avancée des troupes allemandes, ces promesses en viennent, comme nous le voyons, à générer des forces de démobilisation.

Ces forces peuvent être identifiées dans le parcours de ces soldats. Tout d’abord, l’immense effort de formation déployé par l’armée allemande implique les individus dans un cycle de vie, d’entraînement, de manœuvres orchestrées en vue de cette ultime offensive. Nous avons pu relever quelques traits saillants de cette instruction. Tout d’abord, c’est le caractère relativement inédit de telles formations, que ce soit pour l’armée comme pour l’État-Major. En effet, si la préparation aux armes existait bien avant-guerre pour les hommes conscrits appelés pour servir sous les drapeaux, jamais elle n’a une telle ampleur. Même l’instruction des cadets ne va pas aussi loin dans la formation technique et tactique. De plus, jamais de tels enseignements n’avaient été proposés à un tel nombre de citoyens, de catégories de la population, et dans des proportions aussi grandes. Si dans les faits, les nouvelles lois militaires adoptées avant-guerre, en juin 1913, apportent un renforcement de 117 000 hommes, 15 000 sous-officiers et 5 000 officiers et que, de plus, le principe de la conscription généralisée est admis, ce n’est que de haute lutte. Longtemps les élites du Reich voient d’un très mauvais œil ce qu’elles considèrent comme une dépossession de la chose militaire, au profit de classes de plus en plus basses. Ces formations élaborées et pensées en temps de guerre ont donc également un caractère transgressif. De tels préparatifs font événement dans le rapport des Allemands à la chose militaire. Ainsi, concentrer autant d’attention, miser autant sur ce que les Allemands appellent un Va-Banque-Spiel, un va-tout – préparé et attendu depuis si longtemps – ne fait qu’accroître l’intensité dramatique de l’échec des offensives du printemps. Nous trouvons ici un écho militaire de ce qu’a pu affirmer A. Prost, mais sur le terrain économique : « Un État qui s’engage dans une guerre totale perd toute légitimité s’il est vaincu96 ». À grands coups de propagande, on prépare ce qui doit être la dernière offensive, l’ultime effort pour la décision et la paix. Pour un soldat allemand, comme nous l’avons dit, assez conscient du tournant que prend la guerre, la vanité des offensives de mars 1918 auxquelles ne succède aucun triomphe ni pourparlers, n’en est que plus patente.

 
Soldat allemand avec une femme, 1917. Carte postale. Collection particulière.

Les raisons de la défaite allemande de 1918 sont, dans la jeune République de Weimar, l’enjeu d’une lutte acharnée entre les défenseurs du Haut Commandement allemand (l’OHL) et ses détracteurs. Bien que d’illustres intellectuels, politiques ou théoriciens militaires s’évertuent à travers des pamphlets, essais et tribunes à dénoncer les errements et les erreurs fatales du duumvirat Hindenbourg-Ludendorff, c’est la vision des milieux nationalistes et des militaristes les plus radicaux qui finit par s’imposer97. Contre un récit accusant le Haut Commandement allemand d’avoir précipité les USA dans la guerre contre l’Entente par les manœuvres diplomatiques au Mexique et la guerre sous-marine à outrance ; contre une analyse stratégique reprochant à Ludendorff le lancement d’offensives coûteuses en vie et en matériel pour des gains strictement tactiques et non décisifs98, envers et contre toutes ces attaques c’est un tout autre récit, un mythe qui ne tarde pas à structurer la vision que les Allemands ont de leur défaite durant l’entre-deux-guerres, celui du coup de poignard dans le dos.

C’est sous la plume et dans les propres mots des protagonistes de la défaite, ceux de Ludendorff et de différents membres de l’État Major allemand, que naît l’image du coup de poignard, donnant naissance à la Dolchstoßlegende (« la légende du coup de poignard [dans le dos] »). C’est d’abord l’image des officiers poignardés, trahis, qui surgit dans les mémoires de certains cadres de l’armée impériale : Albrecht von Thaer décrit dans ses mémoires Ludendorff99 marchant en cercle, tourmenté par l’idée de la défaite, mais se tenant droit, la tête haute, tel – nous dit l’auteur – Siegfried poignardé dans le dos par Hagen. À la suite de ces récits, l’image est véritablement consacrée par une expression tirée d’un entretien de Ludendorff avec le général Malcolm, un militaire anglais qui avait participé à la Première Guerre mondiale, sur le front Oriental, à la tête de la Mission militaire Britannique à Berlin dès 1919 ; expression employée également par le général Maurice, qui servit pendant la bataille de Mons puis fut affecté à l’Imperial General Staff100. A la suite de l’exposition du point de vue de l’État-Major allemand, Malcolm résume l’entretien par la question « You mean that you were stabbed in the back ? [Vous voulez dire que vous avez été poignardé dans le dos ?] »101. Question à laquelle Ludendorff répond par l’affirmative. Cette image du coup de poignard est définitivement gravée dans le marbre de la légende de l’armée allemande, lorsque les journaux conservateurs reprennent cette formule à leur compte. Au récit technique et stratégique se substitue un martyrologe plein d’affect. L’humiliation politique autant que symbolique subie par l’armée allemande dans sa retraite est remplacée par une image forte, par un mythe du corps trahi, brisé, martyr.

Qui sont donc les traîtres ? Bien évidemment les communistes, les socio-démocrates, les juifs, des forces qui ont œuvré à saper l’effort de guerre allemand et miné, plus encore que les moyens de sa lutte, ses forces morales. Pourquoi les mutineries ? Pourquoi les désertions ? Pour quelles raisons a-t-on préféré former des conseils que suivre la voie hiérarchique ? Pourquoi la retraite ? Toutes ces questions, à en croire les anciens cadres du Haut Commandement allemand (en particulier le troisième OHL) trouvent une réponse évidente : les forces socialistes et révolutionnaires ont conspiré à la chute du Reich. Les recherches les plus récentes ont bien sûr tordu le cou à ce mythe, et plus encore retracé l’histoire de son élaboration ainsi qu’établi les causes déterminantes de l’effondrement de l’armée impériale ; et cela en attribuant toute la responsabilité aux décisions fatales du couple Hindenbourg-Ludendorff. C’est la défaite qui a causé la mutinerie et la révolte de la troupe, et non le contraire102. Modestement, c’est bien ce que confirment les témoignages de déserteurs présentés dans cet article.

 
Soldats allemands. Carte postale. Collection particulière.

Au-delà des décisions du Troisième OHL qui précipitent le délitement et la chute d’une armée impériale déjà à bout de souffle, on peut tout de même s’interroger sur le degré de conscience qu’ont ces hommes en rupture de ban de la portée politique de leur acte, ainsi que sur les mécanismes qui poussent un individu, dans l’armée impériale allemande, à se révolter, déserter, se mutiner. Et bien que l’historiographie se soit saisie avec le plus grand sérieux de la question de la désertion dans l’armée allemande, il est encore possible, comme nous venons de le faire, d’apporter quelques éclaircies à la compréhension générale du lent délitement de l’armée impériale.

Ainsi, malgré la multiplicité des parcours examinés, malgré le caractère hétéroclite de cette désertion (regroupant soldats, marins, mais aussi des travailleurs) il apparaît clairement que ce sont des franges précises de l’armée allemande qui cédent à la tentation de la désertion : en premier lieu, en termes générationnels, les plus jeunes et les plus âgés des soldats. Parmi eux on peut remarquer la présence de nombreux blessés ou convalescents en série ayant connu un certain déclassement physique au sein de l’armée. Le facteur géographique joue bien entendu un rôle, favorisant la désertion des hommes originaires des régions limitrophes des Pays-Bas ainsi que les régions les mieux connectées. L’élément identitaire, dans le cas polonais par exemple, en décide plus d’un à franchir le pas.

Hors de ces grandes tendances, issues de la compilation des données recueillies durant la lecture de ces archives, un examen attentif de plusieurs parcours confirme ces éléments ou les affine. Il apparaît même possible de déceler plusieurs événements clés dans le parcours de ces soldats, des événements qui peuvent précipiter une tendance à la défection ou à la désertion, comme par exemple l’offensive du printemps 1918. De ce point de vue, c’est la nature même de la source examinée – une source qui rassemble des travailleurs, des soldats des quatre coins du Reich – qui permet, plus que de confirmer les récentes conclusions, de saisir au plus près un effondrement moral et militaire.

Gwendal PIEGAIS
Université de Bretagne Occidentale, CRBC, EA 4451 / UMS 3554

 

1 Cet article est partiellement issu d’un mémoire de master, écrit sous la direction de Laurence van Ypersele et d’Emmanuel Debruyne, à l’Université Catholique de Louvain. Qu’ils soient ici remerciés pour leur soutien et leur bon conseil.

2 KRUIZINGA, Samuël, «Les Neutres», in WINTER, Jay (dir.), La Première Guerre mondiale – Tome 2 : Etats, Paris, Fayard, 2014, p. 601.

3 GUILLY, Véronique, Édouard Lagasse de Locht et les services Hunter, réseau de renseignement en 1916-1918, Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 1988.

4 Ibid., p. 48.

5 D’après le nom de code du chef belge du réseau, Édouard Lagasse de Locht.

6 Ibid., p. 60. Pour une description plus précise de ces services de renseignements, voir : VAN YPERSELE, Laurence & DEBRUYNE, Emmanuel, De la guerre de l’ombre aux ombres de la guerre. L’espionnage en Belgique durant la guerre 1914-1918. Histoire et mémoire, Labor, Bruxelles, 2004. ; PIÉGAIS, Gwendal, « Le déserteur, source de renseignements du Secret Service – Les interrogatoires du Réseau Hunter aux Pays-Bas de 1916 à 1918 », Cahiers d’Étude du Renseignement, n°7, 2017, p. 85-112.

7 Archives Générales du Royaume, Bruxelles, Archives des Services Patriotique, Description historique du service Hunter par G. Wergifosse, AGR, fonds SP, Portefeuille 93, farde A – C – D – E ; Dossiers contextuels, Affaires de Hollande, War Office, Dossier Hunter, Dossier IV, (b) Interrogatoires, farde 378 – 394, Copies des interrogatoires de déserteurs fournissant des renseignements militaires. 1917-1918, fiches n°1 à n°1799 ; farde 395, Copies des interrogatoires de déserteurs concernant l'aviation. 1918.

8 LAPARRA, Jean-Claude, La machine à vaincre, de l'espoir à la désillusion : histoire de l'armée allemande, 1914-1918, Saint-Cloud, 14-18 éditions, 2006, p. 51. Un régiment c’est 87 officiers, 3 304 militaires.

9 KEEGAN, John, La Première Guerre mondiale, Paris, Perrin, 2013, p. 124 ; CROKAERT, Paul, L'immortelle mêlée : essai sur l'épopée militaire belge (1914), Paris, Perrin, 1919, p. 235.

10 De ROODT, Evelyn, « Duiste Deserteurs in Nederland tijdens de Eerste Wereldoorlog », in De Grote Oorlog, kroniek 1914-1918, Deel 1, Uitegeverij Aspekt, Soesterberg, 2001, p. 123.

11 JARDIN, Pierre, Aux Racines du mal – 1918, le déni de la défaite, Paris, Tallandier, 2006, Introduction.

12 JAHR, Christoph, Gewöhnliche Soldaten. Desertion und Deserteure im deutschen und britischen Heer, 1914-1918, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1988.

13 Ibid., p. 394.

14 Ibid., p. 32

15 DIETZ, Heinrich, cité in Ibid., pp. 193-194.

16 Ibid., p. 114.

17 JAHR, Christoph, Gewöhnliche Soldaten. Desertion …, op. cit., p. 30.

18 Idem.

19 DUMENIL, Anne, « En marge du combat ? Le crime de lâcheté devant la justice militaire allemande », in 14-18 Aujourd’hui – Today – Heute. Marginaux, marginalité, marginalisation, n° 4, Paris, Éditions Noesis, 2001, p. 114.

20 Ibid., p.88-109.

21 OFFENSTADT, Nicolas Les fusillés de la grande guerre et la mémoire collective, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 21.

22 DUMENIL, Anne, art. cit., p. 113.

23 Ibid. p. 116.

24 Ibid. p. 122.

25 Pour les besoins de cette recherche, nous avons dépouillé intégralement plus de 550 interrogatoires sur les 1 783 de tout le corpus archivistique.

26 Archives Générales du Royaume, Archives des Services Patriotiques, dossiers 378 – 394, ID. 0054, inter. du 11/06/1917. Nous indiquerons désormais simplement AGR, suivi du numéro de la fiche d’interrogatoire.

27 AGR, ID. 0117, inter. du 26/06/1917.

28 AGR, ID. 0005, inter. du 03/06/1917 ou ID. 0029, inter. du 02/06/1917.

29 AGR, ID. 0049, inter. du 11/06/1917.

30 Plus précisément, dans 27,3% de notre échantillon.

31 AGR, ID. 0320, inter. du 18/08/1917.

32 AGR, ID. 0419, inter du 18/09/1917. AGR, ID. 0591, inter. du 20/11/1917.

33 AGR, ID. 0942, inter. du 25/02/1918.

34 AGR, ID. 0974, inter. du 15/03/1918.

35 Nous avons donc pu prendre en compte, ici, les soldats fournissant à leurs interrogateurs les dates de début et de fin de service.

36 LAPARRA, Jean-Claude, La machine à vaincre…, op. cit., p. 45.

37 Ibid., p. 98 et 297.

38 AGR, ID. 1123.

39 Aujourd’hui Giżycko, en Pologne.

40 Aujourd’hui Działdowo, en Pologne.

41 AGR, ID. 234bis.

42 AGR, ID. 309.

43 AGR, ID. 349.

44 Voir JAHR, Christoph, Gewöhnliche Soldaten…, op. cit. ; JAHR, Christoph, « Désertions et déserteurs dans la Grande guerre. Phénomènes et groupes marginaux ? » in 14-18. Aujourd'hui-Today-Heute, 2001, n°4 ; ZIEMANN, Benjamin, « Fahnenflucht im deutschen Heer 1914-1918 », in Militärgeschichtliche Mitteilungen, n°55, 1996.

45 JARDIN, Pierre, Aux Racines du mal…, op. cit., p. 238.

46 KENNEDY, Paul, « Les Mers », in WINTER, Jay (dir.), La Première Guerre mondiale. Tome 1 : Combats, Paris, Fayard, 2013, p. 374-377.

47 Expression commune de l’époque, qu’on peut notamment trouver sous la plume de Ludendorff, Delbrück, etc.

48 JARDIN, Pierre, Aux Racines du mal…, op. cit., p. 258.

49 Ibid., p. 183.

50 Par exemple le soldat Johann Rheinartz, voir AGR, ID. 1377.

51 AGR, ID. 0233, inter. le 24/07/1917.

52 JARDIN, Pierre, Aux Racines du mal…, op. cit., p. 151.

53 AGR, ID. 0367, inter du mois d’août 1917.

54 AGR, ID. 1424, inter du 24/08/1918. On pourrait également citer les interrogatoires de Theodor Scholten (ID. 1594) ou Gerhard Kempkes (ID. 1489).

55 AGR, ID. 1606, inter. du 01/10/1918.

56 Sur le même échantillonnage de 451 déserteurs, 4% sont Polonais.

57 WATSON, Alexander, « Fighting for Another Fatherland: The Polish Minority in the German Army, 1914–1918 », English Historical Review, CXXVI (522): 1137-1166, 2011, p. 1139-1140. L’armée impériale allemande nourrissait même une certaine inquiétude concernant la loyauté des soldats posnaniens dès 1915, voir p. 1148.

58 Pour une étude plus précise consacrée à ces déserteurs d’origine polonaise, voir PIÉGAIS, Gwendal, « Des déserteurs polonais aux Pays-Bas, 1916-1918 : les motivations diverses et complexes d’une désertion », Actes du colloque Soldats d’entre-deux, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, à paraître ; pour une vision plus générale de la condition des soldats d’origine polonaise dans l’armée impériale, voir WATSON, Alexander, « Fighting for Another Fatherland… », art. cit., p. 1138 ; pour la question des Polonais dans la Grande Guerre, voir SCHRAMM, Tomasz « Les Polonais : citoyens des Etats belligérants », Guerres et Conflits Contemporains, n° 260, 2015/4, p. 6.

59 Il faut néanmoins distinguer les roulements de l’armée allemande de ceux de l’armée française, par exemple. Les Allemands ont des rotations moins fréquentes et certaines divisions tiennent un secteur pendant de longues périodes.

60 LAPARRA, Jean-Claude, La machine à vaincre…, op. cit., p. 55.

61 Ibid., p. 65.

62 Ibid., p. 66.

63 Voir par exemple aux interrogatoires AGR, ID. 0005, ID. 0009, ID. 0071, ID. 0233, ID. 0281, ID. 1029, ID. 1744.

64 Par exemple, le soldat Martin Mosch (ID. 0419) dut passer plus de deux mois dans un Lazaret à Malmedy, qui se prolongea par une longue convalescence en Allemagne. Il en alla de même pour Heinrich Verhaert (ID. 0667), dont le séjour dura au moins trois mois, puis fut suivi du même type de convalescence.

65 AGR, ID. 1662.

66 AGR, ID. 1747.

67 Le cas particulier des déserteurs pourrait d’ailleurs apporter une contribution modeste mais certaine au débat autour de la notion de « groupe primaire ». Sur ce concept, voir : COCHET, François, Survivre au front 1914-1918. Les poilus entre contrainte et consentement, Saint-Cloud, 14-18 éditions, 2005.

68 AGR, AGR, ID. 1615-X.

69 AGR, ID. 1439-Z.

70 KENNEDY, Paul, « Les Mers… », art. cit., p. 361.

71 AGR, ID. 1439-Z, p.3. « De stemming is dan ook zeer slecht, daar de verliezen zoo groot zynij en de bemanning de groote schepen geen gevaar loopen. »

72 LAPARRA, Jean-Claude, La machine à vaincre…, op. cit., p. 181.

73 Par exemple, voir les interrogatoires d’Ambarg Waldemar, AGR, ID. 0620, ou Wierich Gerhard, AGR, ID. 1008.

74 Voir par exemple le témoignage du soldat Heinrich Zeger, AGR, ID. 1111.

75 Par exemple, voir le parcours du soldat Wilzbach, AGR, ID. 725 ou Enger Victor, AGR., ID. 500.

76 LAPARRA, Jean-Claude, La machine à vaincre…, op. cit., pages 50 et 43.

77 A partir des 1783 interrogatoires, nous avons prélevé un échantillonnage d’environ 451 cas, parmi lesquels nous avons relevé que 18% des déserteurs avaient travaillé en usine ou en fabrique de munitions.

78 Voir par exemple les interrogatoires suivants : Hermans Franz, AGR, ID. 0619 ; Otto Hoynck ID. 0981 ; Wilhelm Köther, AGR, ID. 1744 ; Victor Enger, AGR, ID. 500.

79 LAPARRA, Jean-Claude, La machine à vaincre…, op. cit., p. 257.

80 PROST, Antoine, « Les ouvriers »,  in WINTER, Jay (dir.), La Première Guerre mondiale. Tome 1 : Combats, Paris, Fayard, 2013, p. 370.

81 AGR, ID. 0517, inter. du 04/11/1917.

82 Dans notre échantillonnage de 451 cas : 4,4% seulement de notre ensemble de déserteurs a servi dans la marine. Il en va de même pour les hommes ayant servi dans l’Aviation, qui composent 5,32% de notre échantillon. Ce faible nombre de déserteur dans notre échantillon peut s’expliquer par le faible nombre d’hommes servant dans la marine allemande : l’armée allemande d’active comporte 840 000 hommes, 761 000 dépendent de l'armée de terre et 79 000 de la marine, soit un rapport d’un marin pour neuf soldats. Le même raisonnement peut également s’appliquer à l’aviation, où seulement 4 500 hommes servirent au plus haut des effectifs.

83 AGR, ID. 0457.

84 AGR, ID. 0489.

85 AGR, ID. 1731.

86 HALPERN, Paul G., A Naval History of World War I. Annapolis, Naval Institute Press, 1995, p. 243.

87 KENNEDY, Paul, « Les Mers… », art. cit., p. 351.

88 Voir KOOP, Gerhard, GALLE, Kurt, KLEIN, Fritz, Von der Kaiserlichen Werft zum Marinearsenal, Bernard & Graefe Verlag, München, 1982.

89 Voir RYHEUL, Johan, Marinekorps Flandern 1914-1918, Hamburg/Berlin/Bonn, Verlag E.S. Mittler & Sohn, 1997.

90 AGR, ID. 1781.

91 Né en 1894 et mort en 1978, Jacobs était un aviateur allemand, surnommé le Diable Noir, qui comptabilisa 48 victoires durant la Première Guerre mondiale.

92 MORROW, John H., Jr., « Les Airs » in WINTER, Jay (dir.), La Première Guerre mondiale. Tome 1 : Combats, Paris, Fayard, 2013, p. 397.

93 Ibid., p. 407.

94 PRIOR, Robin, « Front Ouest » in WINTER, Jay (dir.), La Première Guerre mondiale : Combats, Paris, Fayard, 2013, p. 246.

95 Idem.

96 PROST, Antoine, « Les ouvriers… », art. cit.,  p. 398.

97 Voir JARDIN, Pierre, Aux Racines du mal…, op. cit. ; DELBRÜCK, Hans (trad. MOURIC, Joël), La Stratégie oubliée. Périclès, Frédéric le Grand, Thucydide et Cléon, Paris, Economica, 2015, p. 12. Merci à Joël Mouric, pour ses remarques éclairantes sur la pensée stratégique de Hans Delbrück.

98 DELBRÜCK, Hans, Ludendorffs Selbstporträt mit einer Widerlegung der Forsterschen Gegenschrift, Verlag für Politik und Wirtschaft, Berlin, 1922.

99 Von THAER, Albercht, KAEHLER, Siegfried A., Rönnefarth, Helmuth K. G., Generalstabsdienst an der Front und in der O.H.L. Aus Briefen und Tagebuchaufzeichnungen 1915 – 1919. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1958, entrée du 1er octobre 1918.

100 Horst Möller, La République de Weimar, Paris, Tallandier, 2005, p. 83.

101 WHEELER-BENNETT, John W., «Ludendorff: The Soldier and the Politician». The Virginia Quarterly Review, n°14 (2), automne 1938, p. 187–202.

102 L’idée de défaite causée par la subversion a eu la vie dure. Rien que dans les histoires officielles des armées, par exemple dans l’histoire officielle de la guerre sur mer, publiée par le Marine Archiv, ce thème y apparaît jusqu’en 1965.