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14-18Ces Alsaciens internés à Garaison

La Vierge y serait apparue en 1515. Quatre siècles plus tard, le sanctuaire de Garaison, dans les Hautes-Pyrénées, fut l’un des camps où la France internait ses ennemis potentiels. Parmi lesquels des Alsaciens-Lorrains.

Le 20/04/2019 05:00 par Hervé DE CHALENDAR Vu 24 fois

Le toponyme Garaison vient du mot guérison. La Vierge serait apparue trois fois à une jeune bergère dans ce lieu-dit de la commune de Monléon-Magnoac, à l’est de Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées. C’était en 1515, soit un peu plus de trois siècles avant que Marie ne se manifeste dans un autre lieu du même département qui a tiré un avantage bien plus grand de cette élection divine : Lourdes.

Garaison est devenu un lieu de pèlerinage, un monastère, une école. Et, quatre siècles tout juste après les apparitions, entre 1914 et 1919, un centre d’internement. Ce fut l’un des 75 sites choisis lors de la Première Guerre par la France pour interner les personnes présentes sur son territoire qu’elle considérait comme ennemies, ou à tout le moins suspectes. À Garaison ont été essentiellement regroupées des familles d’origine allemande et austro-hongroise. Mais il y eut aussi, dans ce camp comme dans les autres, un certain nombre de civils alsaciens-lorrains.

Les époux Schweitzer

Cette utilisation carcérale d’un lieu d’origine mariale est racontée dans un livre qui vient de paraître. Il est né de la redécouverte, en 2013, d’un fonds iconographique composé de plus de 400 photographies et cartes postales. Oubliées dans des boîtes à chaussures rangées dans une armoire des Pères de Garaison (lesquels ont assuré le service du sanctuaire de Lourdes à partir de 1866), ces images dévoilent des portraits d’internés et des scènes de la vie quotidienne dans ce camp.

Parmi ces personnes qui posent volontiers devant l’objectif, mais avec un sourire que l’on imagine volontiers contraint, il y a donc des Alsaciens et des Lorrains. Parmi eux un certain Albert Schweitzer : parce qu’il était Alsacien et donc Allemand sur un territoire français (Lambaréné, au Gabon), il a été arrêté en août 1914 avec son épouse, Hélène Breslau ; le couple sera placé sous surveillance, puis interné, d’abord dans une caserne près de Bordeaux, puis à Garaison à l’automne 1917, enfin à Saint-Rémy-de-Provence à partir de mars 1918 ( L’Alsace du 3 septembre 2017).

Dans cet ouvrage, le cas particulier des Alsaciens-Lorrains fait l’objet d’un chapitre rédigé par l’universitaire Jean-Noël Grandhomme, grand spécialiste de 14-18. Souvent, ceux-ci avaient le simple tort de ne pas avoir opté et de ne pas se trouver en Alsace-Moselle après le 3 août 1914 ; certains étaient juste de passage en France de l’intérieur, d’autres y étaient installés depuis des années. Parmi ces internés, rappelle l’historien, on trouvait toutes les classes sociales : « Garçons de café, ouvriers, ecclésiastiques, entrepreneurs, familles aisées en villégiature et domestiques à leur service… » La seconde grande catégorie d’internés de ces régions fut constituée « par ceux qui furent arrêtés au cours de la brève incursion des troupes françaises en Lorraine annexée et dans le sud de l’Alsace, puis dans la petite zone qui resta en leur pouvoir. »

Toutes les classes sociales

Une commission a été instituée pour visiter ces internés d’Alsace-Lorraine, sonder leurs âmes et leurs cœurs et les classer en différentes catégories : « D’origine française, mais d’attitude douteuse » , « D’origine française et de sentiments français » ou encore simplement « Suspects ». Ces derniers, rappelle Jean-Noël Grandhomme, seront « communément appelés les ‘‘Alsaciens-Boches’’ ».

La guerre n’incite jamais à la bienveillance, mais le fait est, comme l’a remarqué une commission interministérielle française en 1915, que cette attitude a surtout eu comme effet de faire perdre à la France une partie de son crédit auprès des Alsaciens-Lorrains, et de donner des tonnes de grains à moudre à la propagande allemande.

LIRE Être prisonnier civil au camp de Garaison, 1914-1919 , sous la direction de Pascale Leroy-Castillo et Sylvaine Guinle-Lorinet, Cairn, 245 pages, 30 €. Certains chapitres bénéficient d’une traduction allemande.

Être prisonnier civil au camp de Garaison de 1914 à 1919

  • Sylvaine Guinle-Lorinet et Pascale Leroy-Castillo ont coordonné tout le travail des historiens, chercheurs et spécialistes.

Sylvaine Guinle-Lorinet et Pascale Leroy-Castillo ont coordonné tout le travail des historiens, chercheurs et spécialistes.Photo Simone Beugin.

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PatrimoineLourdes

«Être prisonnier civil en camp de Garaison» est un bel ouvrage de mémoire durant la Grande Guerre, de 1914 à 1919. À partir d'un fonds photographique exceptionnel, le travail de réalisation a su fédérer à la fois les structures publiques et privées.

 

Pascale Leroy-Castillo, responsable des archives du diocèse de Tarbes et Lourdes et responsable des archives et du patrimoine du Sanctuaire, avec Sylvaine Guinle-Lorinet, maître de conférence en histoire contemporaine à l'université de Pau, ont coordonné le travail de toute une équipe.