La bataille de Rixheim racontée par Dominique Richert

Dominique Richert naquit le 4 mai 1893 à Saint-Ulrich, dans la vallée de la Largue, dans un modeste foyer d’agriculteurs. Il fréquenta l’école communale dès l’âge de 7 ans, eut une bonne scolarité, mais dès 1907, comme beaucoup de jeunes à cette époque, il dut apporter sa force de travail à la ferme de ses parents. En 1913, à l’âge de ses 20 ans, comme tous les jeunes Alsaciens, citoyens du Reich, Dominique Richert fut appelé sous les drapeaux, dans l’armée du Kaiser. Déclaré apte au service, il fit partie de ceux qui durent effectivement rejoindre la caserne, mais il eut la chance comme environ 20% des recrues alsaciennes, de rester en Alsace. Il fut affecté, le 16 octobre 1913, au 4. Badisches Infanterie Regiment Prinz Wilhelm Nr 112, basé à Mulhouse, et était persuadé de quitter l’armée au bout de ses deux ans de service militaire. Mais l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914, en décida autrement … Dominique Richert, comme des millions d’autres, fut happé par la guerre qui frappa l’Europe en cet été 1914. Sa première bataille fut celle de Rixheim, à laquelle participa le 112ème régiment d’infanterie. Les vicissitudes de la guerre ’emmenèrent ensuite en Lorraine, puis sur le front russe jusqu’à la conclusion du traité de paix de Brest-Litovsk avec les bolcheviks, ce qui amena de nouveau son unité sur le front français en avril 1918. Il ne rentra chez lui à Saint-Ulrich, qu’en janvier 1919. Il venait de passer 64 mois sous l’uniforme, marqués par un séjour dans un Lazareth en 1915, une désertion en juillet 1918, suivie de son internement dans « le camp des Alsaciens » de Saint-Rambert, près de Saint-Etienne, où il troqua son uniforme allemand en piteux état contre une vielle tenue de l’armée française, un pantalon rouge et une tunique bleue. Très vite, il se porta volontaire pour travailler dans une ferme voisine qui manquait de bras.  Dès son retour à Saint-Ulrich, Dominique Richert se mit à consigner tous ses souvenirs de guerre, dans 8 cahiers, des pages écrites dans la langue qu’il avait apprise à l’école, en allemand. Ces cahiers, rangés dans le grenier de la maison, ne furent publiés qu’en 1989, à l’initiative du chercheur Heinrich Böll, d’abord en langue allemande, sous le titre « Beste Gelegenheit zum Sterben », aux Editions Knesebeck & Schuler de Munich, douze ans après le décès de Dominique Richert. L’ouvrage fut ensuite traduit en français par Marc Schublin et publié en 1994 aux Editions La Nuée Bleue, sous le titre « Cahiers d’un survivant, un soldat dans l’Europe en guerre 1914-1918 ».  Nous tenons à remercier Daniel Lautié, gendre d’Ulrich, fils de Dominique Richert, qui nous a donné l’autorisation de reproduire les premières pages du livre, auxquelles nous avons rajouté quelques notes. Laissons Dominique Richert raconter ces premiers jours de guerre et la bataille qui eut lieu à Rixheim…

Préparatifs de guerre, juillet-août 1914 

 Je fus incorporé à l’âge de vingt ans, le 16 octobre 1913(1) du 112ème régiment d’infanterie, stationné à Mulhouse, en Alsace. En six mois, après le dressage habituel de l’armée allemande(2)soldats. A la mi-juillet 1914, notre régiment se rendit au camp de manœuvre de Heuberg, à la frontière du Bade-Wurtemberg, afin de s’exercer à une plus grande échelle. On nous fit quelquefois subir le pire au cours de cet entraînement.  Le 29 juillet 1914, notre matinée fut occupée par un exercice ; l’après-midi, l’artillerie de campagne effectua une séance de tir réel. Comme nous avions le droit d’y assister, je m’y rendis, pensant que je n’aurais peut-être plus jamais l’occasion d’observer un tir d’artillerie, ce qui me, et affecté à la première compagnie , nous sommes passés de l’état de jeunes recrues à celui de vrais

1 Les incorporations des recrues se faisaient toujours en octobre, l’année de leur vingtième anniversaire

2  Dans ses écrits, Dominique Richert utilise le terme de « Drill » pour désigner cette période initiale de formation des recrues.

semblait très intéressant. Je me tenais juste derrière les batteries et pouvais bien observer les explosions des shrapnels et des obus autour des cibles. Nous autres soldats n’avions aucune idée de la menace de guerre.  Le 30 juillet 1914, fatigués par nos activités, on alla se coucher de bonne heure. Vers dix heures, la porte de notre chambrée s’ouvrit brutalement et l’adjudant de compagnie nous ordonna de nous lever aussitôt : la guerre était apparemment inévitable. Nous étions abasourdis et incapables de la moindre parole. La guerre, où, contre qui ? Bien sûr, tous réalisèrent très vite qu’il s’agissait de combattre la France. Soudain, l’un d’entre nous entonna le Deutschland über alles, presque tous le suivirent et bientôt ce chant résonna dans la nuit, repris par des centaines de poitrines. Je n’avais pour ma part aucune envie de chanter, parce que je pensais qu’une guerre offre toutes les chances de se faire tuer. C’était une perspective extrêmement désagréable. De même, je m’inquiétais en pensant aux miens et à mon village, qui se trouve tout contre la frontière et risquait donc la destruction.  On nous donna l’ordre de faire notre paquetage au plus vite, et alors qu’il faisait toujours nuit, on se mit en marche vers la gare de Hausen dans la vallée du Danube. Comme il n’y avait pas de train pour nous, nous sommes retournés au camp jusqu’au prochain soir, avant de rentrer à Mulhouse, notre ville de garnison dans un train bondé, serrés les uns contre les autres comme des harengs saurs dans un tonneau. On arriva à destination le matin du 1er août 1914, à six heures, et on se mit en marche vers la caserne. 

 On devait être au repos jusqu’à midi, mais dès neuf heures, je fus réveillé avec d’autres camarades pour aller percevoir un équipement de guerre tout neuf. Chacun de nous reçut cent vingt cartouches. Après cela, on dut passer à l’armurerie, faire aiguiser nos baïonnettes.  Mon père et ma sœur me rendirent une dernière visite, pour me donner de l’argent et me faire leurs adieux. L’ordre fut donné aux civils de quitter la cour de la caserne. J’obtins cependant la permission de parler à ma famille devant le portail. Ce fut une séparation pénible, puisque nous ne savions pas si l’on se reverrait un jour. Nous pleurions tous les trois. En s’en allant, mon père me recommanda d’être toujours très prudent et de ne jamais me porter volontaire pour quoique ce soit. Cet avertissement était superflu, car mon amour de la patrie n’était pas considérable, et l’idée de « mourir en héros », comme on dit, me faisait frémir d’horreur.  Je reçus alors l’ordre de monter la garde avec huit camarades, près du guichet de la gare. D’autres soldats faisaient le guet devant le bâtiment, d’autres encore patrouillaient le long des quais.  Le 3 août, un avion français survola très haut la ville, en décrivant de grands cercles. Tous les soldats tirèrent en l’air, et à chaque instant, on s’attendait à ce qu’il tombe, abattu ; mais il continuait tranquillement son chemin. Une foule de civils s’était rassemblée sur la place de la gare pour mieux voir. Soudain, l’un des badauds cria : « Une bombe !(3) dans la gare et dans les bâtiments environnants. Moi-même, je me précipitai dans la gare, dans l’attente de l’explosion imminente. Mais le calme persista. J’osai alors quelques pas sous l’auvent, regardai en l’air, et vis descendre un objet autour duquel flottait quelque chose. « Ca, c’est sûrement pas une bombe », pensai-je. En réalité, il s’agissait d’un beau bouquet de fleurs, de myosotis essentiellement (Vergiss mein nicht, « ne m’oublie pas »), maintenu par un ruban bleu, blanc, rouge. Un salut de la France à la population alsacienne.


3 Dans son texte, Dominique Richert utilise l’expression « A Bumma ! » (Eine Bombe).

Le 4 août, deux trains d’employés allemands quittèrent Mulhouse en direction du pays de Bade. Ils nous firent cadeau de plusieurs bouteilles de vin, aussitôt dégustées avec plaisir. C’est alors que l’on apprit que la guerre n’opposait pas seulement l’Allemagne à la France, mais l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Turquie(4)la Serbie de l’autre. « Alors là, il va y avoir du grabuge », pensai-je.  Le 5 août, je me mis en route avec un petit détachement, en direction d’Exbrücke (Aspach-le-Pont). Nous sommes restés deux jours sur le Kolberg, au nord du village.  Le 7 août, je vis mes premiers Français ; il s’agissait de patrouilles qui progressaient dans les champs de blé. Nous nous sommes tirés dessus mutuellement, sans qu’il y ait de pertes d’un côté ou de l’autre. Ce baptême du feu me causa beaucoup d’émotion. On reçut l’ordre de se retirer au-delà du Rhin, jusqu’à Neuenburg. A la pointe du jour, on franchit le Rhin sur un pont de bateaux. Nous avons monté notre camp de toiles près du cimetière de Neuenburg et nous nous sommes allongés, prêts à dormir, afin de récupérer de notre longue marche. Nous sommes restés deux jours sur place, jusqu’au 9 août. Plusieurs régiments étaient rassemblés. C’était indiscutablement un beau spectacle.  Le 9 août au matin, on entendit les ordres : « Préparez-vous ! Serrez les rangs ! » On repassa le pont et on pénétra dans la forêt de la Hardt. On ne nous dit pas ce qui se passait, ni où nous devions aller. Après toute une journée d’attente, tous les officiers durent se rendre chez le capitaine pour recevoir des ordres. Puis, chaque chef de groupe répercuta à ses hommes : « Les Français ont occupé la ligne Habsheim-Rixheim-Ile-Napoléon-Baldersheim. Nous allons attaquer ce soir et devons les repousser. Notre régiment a pour mission de prendre d’assaut Habsheim, Rixheim et les vignobles situés entre les deux villages.» 

 Les rires et la bonne humeur disparurent aussitôt. Personne ne pensait survivre à cette nuit ; et l’on vit très peu de manifestations d’enthousiasme guerrier, de joie intrépide, toutes ces choses dont il est tant question dans les brochures patriotiques. Il fallait se mettre en marche à présent.  Au bord de la route gisait le premier mort, un dragon français qui avait reçu un coup de lance en plein cœur. Une vision horrible ; la poitrine sanglante, les yeux vitreux, la bouche ouverte et les mains crispées. Sans un mot, la colonne passa devant le cadavre.  On abandonna ensuite la route pour prendre un chemin forestier sur la gauche. A proximité de nos pas de tir(5)en tirailleurs et progresser jusqu’à la lisière du bois, où on nous dit de nous coucher. Je me trouvais dans la seconde vague d’assaut. Devant nous, à l’orée du bois, se trouvaient les hangars du terrain d’exercice de Habsheim(6) d’exercice, large de mille deux cents mètres. « Les Français vont nous abattre dès qu’on va s’avancer », pensai-je. L’ordre retentit : « Debout ! En avant, en avant ! » La première ligne se leva et sortit du bois en courant. Un adjudant de réserve resta couché. Je ne sais pas si c’était par couardise ou s’il s’était évanoui de peur.  d’un côté, à la France, la Russie, la Belgique, la Grande-Bretagne et , six fantassins allemands gisaient sur le sol, face contre terre. On dut ensuite se déplacer . Notre formation avait pour mission de progresser à découvert sur le terrain

Bien que très lié à l’Empire allemand, l’Empire Ottoman n’entra officiellement en guerre aux côtés de l’Allemagne et de 

l’Autriche-Hongrie que le 5 novembre 1914 : ce jour-là, la France, la Grande-Bretagne et l’Empire Russe, regroupés dans la Triple Entente déclarèrent la guerre à l’Empire Ottoman, en réponse à une attaque de la flotte turque sur les ports russes de la Mer Noire, le 28 octobre. On parla alors des Empires Centraux pour désigner cette alliance entre les Empires allemand, austro-hongrois et ottoman.

Dans la forêt de la Hardt, les garnisons de Mulhouse avaient aménagé des stands de tirs. 6

5  Il s’agit des hangars de l’aérodrome de Habsheim qui jouxtait un terrain d’exercice de l’armée, une infrastructure utilisée par la firme Aviatik de Bourtzwiller. (voir l’article de Lionel Luttenbacher page…..)

 

Bataille de Mulhouse, 9-12 août 1914 

 Dès que la première vague apparut à la lisière du bois, les balles crépitèrent, en provenance d’un talus éloigné d’environ douze cents mètres. Elles sifflaient autour de nous, dans les feuillages, ou claquaient contre les arbres. Le cœur battant, nous nous blottissions autant que possible contre le sol de la forêt. « Deuxième vague…En avant, en avant ! » On se leva pour foncer hors de la forêt. Aussitôt, les balles nous sifflèrent aux oreilles. La première ligne était couchée et tenait le talus sous un feu soutenu. Déjà, quelques tués et blessés graves se trouvaient en retrait de la première vague. Des blessés plus légers couraient entre nous, vers la forêt protectrice. Notre artillerie se mit à bombarder les vignobles situés entre Habsheim et Rixheim(7) claquement, le sifflement, le bruit sec de l’éclatement nous impressionna fortement.  Soudain, nous avons entendu un sifflement très proche. Deux obus français(8) peine à vingt mètres derrière nous. Tout en courant, je me retournai, et me dis en voyant la fumée et les morceaux de gazon voler alentour : « Pourvu qu’un engin pareil ne me tombe pas devant les jambes ». Un ordre éclata : « Déployez-vous dans la première ligne ». Nous nous sommes aplatis dans les brèches de la première vague. Nous devions à présent prendre à partie le bosquet d’en face. Combien de fois n’avions-nous pas pris d’assaut pareils bosquets, avec des balles à blanc, en temps de paix ! Mais à l’époque, l’ennemi était matérialisé par des drapeaux rouges. A présent, il en allait malheureusement tout autrement. « Armbruster est mort », se disaient l’un à l’autre les soldats de la première ligne. C’était un soldat de ma classe. Cela me faisait d’autant plus d’effet(9) venait d’arracher l’herbe tout près de moi. Trente centimètres plus à gauche et c’en était fini. « Debout ! En avant, en avant ! » Tous se précipitèrent vers l’avant ; aussitôt, un feu encore plus nourri crépita contre nous. A nouveau, certains s’affalèrent, touchés, parfois dans un cri atroce. « En position, feu !1er ,3ème ,5ème, 7ème, 9ème groupes, à l’assaut ! Les 2ème, 4ème ,6ème, 8ème et 10ème groupes, feu à volonté pour les couvrir ! » Ainsi se passèrent les choses, en alternance.  Comme nous nous approchions du bosquet, nous avons vu les derniers Français disparaître près de la gare de Habsheim. C’était les premiers Français que je voyais durant un assaut. Dans le bosquet, j’aperçus seulement deux morts. En progressant à découvert vers Habsheim, on fut à nouveau pris à partie par des tirs en provenance de la gare et des vignobles. Lorsqu’on prit d’assaut la gare en poussant de grands cris, les Français s’étaient à nouveau retirés. Il est vrai que nous étions les plus  Puis vint l’assaut des vignobles. Un feu nourrit nous accueillit d’abord, mais au fur et à mesure que nous progressions, les Français fuyaient dans les vignes, nous cédant du terrain. La position française ne constituait en fait qu’une tranchée de cinquante centimètres de fond, derrière laquelle on trouva un véritable tas de pain blanc et un petit tonneau de vin, qui disparurent aussitôt dans nos estomacs. Même le plus grand des patriotes trouva le pain français bien meilleur que notre pain noir. Les Français défendaient toujours le village de Rixheim, qui se trouvait à présent sur notre droite. Un combat violent se livrait là-bas. Nous devions attaquer Rixheim de flanc.  La nuit était tombée entre-temps. Dans les vignes, on trouva un jeune Français sans connaissance. A la lueur des allumettes, nous avons vu qu’il avait reçu une balle en haut de la cuisse. Un Badois de Mannheim voulait l’abattre ; avec mon camarade Ketterer de Mulhouse nous avons . Le sifflement des obus était nouveau pour nous. Le

7  Dans son texte, Dominique Richert parle de tirs de shrapnells.
8  Dominique Richert parle de « französische Granaten », des grenades françaises. 

9  Dans l’édition allemande, il est précisé que d’après le journal de marche du 112ème Infanterie Regiment, A., un jeune menuisier de 23 ans, n’est pas mort dans ce combat mais qu’il a été gravement blessé ce jour par un tir dans l’abdomen.

réussi à grand-peine à empêcher ce monstre de passer à l’acte. Comme nous devions progresser, nous avons laissé là le Français.  Lorsqu’on attaqua Rixheim en poussant des hourras, les Français durent se retirer pour éviter la captivité. Pourtant, en fouillant les maisons, on fit quelques prisonniers qui, de peur, s’étaient cachés. La plupart des soldats étaient comme fous ; ils croyaient avoir vu des Français dans la nuit. Une fusillade stupide se déchaîna, contre les arbres et toutes sortes de choses ; on tira même vers les toits, sur les cheminées. Les balles sifflaient de tous côtés, et leurs détonations claquaient de partout ; on n’était en sécurité nulle part. Le plus grand des soldats du régiment, Hedenus, qui mesurait bien deux mètres, tomba mort10. Quelques-unes des maisons avaient pris feu et illuminaient les environs. On releva les blessés des deux camps, abandonnant les morts par terre.  L’ordre de rassemblement fut donné. On se mit en marche en direction de Mulhouse, puis on se prépara à passer la nuit dans les prés, à environ un kilomètre de Rixheim. Comme nous étions tout trempés de sueur, la fraîcheur de la nuit nous fut désagréable ; nous pensions avec nostalgie aux paillasses de la caserne. Mais fatigués comme nous l’étions, nous nous sommes très vite endormis. Nous avons été réveillés en sursaut par des coups de feu et le sifflement d’obus au-dessus de nos têtes. « Que se passe-t-il ? » Tout le monde s’interpellait dans le noir. Comme on voyait partir les coups de feu de Rixheim, dans notre dos, que ceux-ci devenaient de plus en plus nourris, que l’on ntendait même crépiter une mitrailleuse, on se dit que les Français nous avaient pris à revers. Le chaos était indescriptible.  On entendait les cris de ceux qui étaient touchés. Les officiers nous ordonnèrent de former une ligne, de nous coucher et de prendre à partie violemment l’endroit d’où semblaient venir les coups de feu, ce que nous avons fait pendant plusieurs minutes. Puis soudain, il s’avéra que c’étaient des Allemands et qu’il fallait cesser le feu. On nous fit alors chanter le Deutschland über alles, afin que les soldats autour de Rixheim se rendent compte à qui ils avaient affaire. Mon Dieu ! quel chant puissant ! Presque tous tenaient leur visage aplati dans l’herbe, afin de se protéger du mieux qu’ils pouvaient. Lentement, la fusillade perdit de son intensité. Les officiers faisaient du tapage, vitupéraient. Mais ils ne pouvaient pas redonner vie aux pauvres morts. Les balles allemandes nous avaient causé plus de pertes que les françaises.  Le lendemain matin, nous nous sommes mis en marche vers l’Ile-Napoléon ; partout on voyait des morts, français ici, allemands là ; une vision horrible. Nous avons progressé jusqu’à Sausheim, nous avons fait demi-tour, revenant en sens inverse jusqu’à Habsheim, puis Zimmersheim et, après une courte pause, Mulhouse, où nous avons pénétré vers dix heures du soir, au son de la musique du régiment. Les habitants se comportèrent tranquillement ; mais il me semblait lire sur de nombreux visages que notre retour n’était pas désiré.  Les deux jours suivants, on nous mit en état d’alerte dans notre caserne, et nous avons pu nous reposer. A présent, Dieu sait pourquoi, la plupart prétendaient avoir accompli des tas d’actes héroïques, tué des quantités de Français. Ceux qui avaient eu le plus peur étaient les plus vantards. 

 Le 12 août, on partit en direction du pays de Bade, traversant le Rhin à Isteiner Klotz ; nous avons pris nos quartiers en pleine nuit dans le village badois d’Eimeldingen, dans des granges. Le

10 Dans l’édition allemande, il est précisé que d’après le journal de marche du 112ème Infanterie Regiment, H., un gymnaste de 19 ans, fut tué le 10 août 1914 à 10h30 suite à un tir dans l’abdomen.

 

lendemain, on nous embarqua dans un train en direction de Fribourg. Là, nous avons reçu une foule de présents, essentiellement du chocolat, des cigares, des cigarettes, des fruits. Puis, le voyage reprit. Personne ne connaissait notre destination. Des bruits invraisemblables couraient : « On va dans le nord de la France, en Belgique, en Serbie, en Russie… » Tous s’étaient trompés car, à Strasbourg, nous avons repassé le Rhin et, au petit matin, nous sommes descendus du train en gare de Saverne. Aussitôt, nous avons escaladé le col de Saverne en direction de Phalsbourg, en Lorraine… A partir de cette date, le 112ème Régiment d’Infanterie participa aux opérations en Lorraine, avant son transfert sur le front russe. Nous vous encourageons à lire la totalité des écrits de Dominique Richert, un témoignage poignant de ce qu’ont vécu nos aïeux, soldats du kaiser, envoyés dans cette boucherie qui ensanglanta l’Europe et à consulter le site internet dominique.richert.free.fr 

 Dans sa préface de l’édition française, Angelika Tramitz indique à juste titre que Dominique Richert « nous transmet la vérité universelle d’un homme qui ne comprend que par bribes ce qui lui arrive mais est capable de rester fidèle aux exigences immémoriales de respect de la dignité humaine ».
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Dominique Richert, soldat au 4 BIR Nr 112 (4ème Badisches Infanterie Regiment Nr 112 de l’armée

impériale), un régiment engagé dans la batille de Rixheim. Doc. dominique.richert.free.fr