Dominique RICHERT

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The First World War, German Soldier, 1914 1918[/caption]SAMSUNG[/caption],Altkirch 6 octobre 2014

L’Alsace et les Alsaciens pendant la guerre. 

Conférence d’André DUBAIL, note du Professeur Jean-Jacques Becker. 

C’est un sujet difficile puisque l’Alsace, française depuis le XVII° siècle jusqu’à la guerre de 1870 et annexée alors par la nouvelle Allemagne à la suite de la défaite, faisait donc partie de l’Empire allemand pendant la Grande Guerre. En fonction de cette situation, les jeunes Alsaciens faisaient leur service militaire dans l’armée allemande et, au moment où ce qu’on allait appeler la Grande Guerre éclate et que la mobilisation générale est décrétée en Allemagne (à peu près d’ailleurs à la même heure qu’en France, c’est-à-dire le premier août autour de 16 heures), les réservistes sont évidemment appelés et ils furent amenés pour le plus grand nombre d’entre eux à faire la guerre dans l’armée allemande (environ 200.000 Alsaciens et Mosellans sont dans l’armée allemande en 1914 contre environ 20.000 dans l’armée française. A la fin de la guerre, ce sont 380.000 Alsaciens-Lorrains qui ont été amenés à servir dans l’armée allemande. Ceux dont les noms sont affichés sur les monuments aux morts ont pour la plus grande part combattu dans l’armée allemande. 

On dit habituellement que ces soldats alsaciens-lorrains ont été utilisés, par prudence, surtout sur le front oriental contre la Russie. Mais, si l’on suit Jean-Noël Grandhomme qui a dirigé un ouvrage sur les Alsaciens-Lorrains pendant la guerre intitulé « Boches ou tricolores » publié à la « Nuée bleue » en 2008, ce n’est vrai et encore pas totalement qu’à partir de la fin de 1915, début 1916.

Du côté français , si le souvenir de l’Alsace-Lorraine restait très vivant dans l’opinion française, l’idée d’une Revanche qui aurait permis de reprendre l’Alsace-Lorraine, cette idée était à peu près morte au début du XXème siècle, sauf dans quelques milieux nationalistes qui faisaient du bruit mais représentaient peu de monde, pour une raison très simple. Pour une France à la démographie stagnante , il n’était pas question de se mesurer à l’Allemagne, où au contraire la population était en très rapide progression.

La guerre n’a donc pas éclaté pour l’Alsace-Lorraine, mais pour une question balkanique.On se le rappelle, c’est à la suite de l’assassinat par de jeunes nationalistes serbes de l’archiduc François-Ferdinand, proche et prochain héritier de l’Empereur d’Autriche-Hongrie François-Jospeh (qui était âgé de 84 ans), et de son épouse la duchesse de Hohenberg, venus en visite officielle dans un territoire récemment annexé par l’Autriche-Hongrie, mais très largement peuplé de Serbes, la Bosnie-Herzégovine,. La Serbie indépendant n’avait pas de responsabilités dans l’attentat , mais les armes utilisées pour l’attentat venaient de Serbie …

Le gouvernement austro-hongrois entend profiter de cet attentat pour « mater » la Serbie qui lui manifestait beaucoup d’hostilité. A vrai dire, il y avait longtemps que l’Autriche-Hongrie pensait à cela, mais elle en avait toujours été dissuadée par son puissant allié allemand. Pourquoi en 1914, l’Allemagne a-t-elle autorisé l’Autriche-Hongrie à agir ? Cela reste assez mystérieux : il y a des raisons personnelles à l’Empereur Guillaume II – l’archiduc François–Ferdinand n’était pas seulement pour lui un autre prince, c’était un ami personnel,des raisons politiques : l’Allemagne ne pouvait pas laisser affaiblir un peu plus son seul allié véritable (l’Italie qui faisait partie de la Triple- Alliance n’était pas très sûre).

Quoi qu’il en soit l’Autriche-Hongrie adresse un ultimatum inacceptable à la Serbie et qui n’est pas accepté et lui déclare le guerre le 28 juillet 1914.A la suite de quoi un enchaînement qu’aucun des responsables européens n’a eu la capacité d’arrêter a lieu.La Russie, slave et orthodoxe, se porte au secours de la Serbie.

Pour soutenir l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne déclenche le plan Schlieffen qui prévoyait qu’en cas de guerre avec la Russie, il était nécessaire de préalablement se débarrasser de la France, son alliée, en quelques semaines

Le Royaume-Uni très hésitant ne peut accepter le passage des troupes allemandes par la Belgique et s’engage dans la guerre . La Triple- Entente est dans la guerre toute entière, avant même la Triple-Alliance dont l’Italie n’entra dans la guerre qu’en 1915 et d’ailleurs aux côtés de l’Entente !

On le conçoit , aucun rôle particulier pour l’Alsace, même si à peine déclarée, le retour de l’Alsace-
Lorraine redevient un but de guerre pour la France.
Alors quelle est la place de l’Alsace et des Alsaciens dans la guerre ? »

– Au plan militaire, la place de l’Alsace est très restreinte.

Le plan français, le plan XVII, prévoyait bien une offensive dans l’est, mais elle concernait surtout la Lorraine.. Dès le 14 août, deux armées françaises la 1èreCastelnau) progressent rapidement vers le Nord à travers la Lorraine « allemande », pénètrent en Allemagne et en Belgique,,, sont sévèrement battues à Sarrebourg et à Morhange : cela aurait pu se terminer en désastre si les armées allemandes avaient sérieusement poursuivi les vaincus…, mais ce n’était pas conforme au plan Schlieffen.

En Haute- Alsace, dès le 7 août, Joffre avait déclenché une attaque en direction de Mulhouse. Dans une région où les Allemands n’avaient guère de troupes, les troupes françaises entraient dès le soir dans Mulhouse, mais les Allemands reprenaient la ville le 9, puis la reperdaient. Finalement, ils la réoccupaient le 24 et la conservaient jusqu’à la fin de la guerre.Ce qui est important est d’ailleurs moins le détail de ces événements, que la façon dont ils ont été 

salués dans la presse française.Dans un journal nationaliste comme l’Echo de Paris, à l’annonce de la première prise de Mulhouse, un homme politique important de cette époque, Albert de Mun, écrit : « Mulhouse est pris… Après 44 ans de deuil et d’attente douloureuse, voici donc que se lève pour nos frères de là-bas l’aurore de la délivrance (…). Quand le drapeau tricolore va entrer dans Mulhouse, fier et claquant au vent, imaginez-vous le transport… », mais un journal socialiste comme l’Humanité n’était presque pas en reste : « Cette nouvelle aura un immense retentissement dans les cœurs de tous nos soldats, dans les cœurs de tous les Français ».

Il apparaît qu’une vague d’enthousiasme a saisi la France . L’article de l’Echo de Paris n’est pas ridicule par rapport à ce que les préfets rapportent de tout ce qui se passe en France à l’annonce de la prise très éphémère de Mulhouse !!!

Après l’épisode de Mulhouse, la ligne de front se fixa sur une ligne  Altkirch-Thann-Hartmannswillerkopf (Vieil-Armand) – Munster –col du Bonhomme et ne bougea plus guère pendant toute la guerre, ce qui ne signifie pas que pendant toute la guerre, en 1915 en particulier, il n’y eut une lutte constante et extrêmement sanglante pour la possession du Hartmannswillerkopf, sur le flanc oriental des Vosges…..

En fait ces batailles de 1915 sont typiques de ces batailles de la Grande Guerre qui ne servirent à rien, d’un côté comme de l’autre, tout en provoquant des pertes horribles. (Cela illustre la fameuse formule de Joffre, « Je les grignote »).

Dans la réalité cela eut très peu d’effet sur l’issue de la guerre.En revanche, le poids de l’Alsace-Lorraine fut considérable dans le prolongement incroyable d’une guerre dont les meilleurs esprits et les plus compétents croyaient qu’elle durerait quelques semaines, au plus quelques mois : à plusieurs reprises, des contacts eurent lieu, au moins indirectement, entre autorités allemandes et autorités françaises pour mettre fin à la guerre. Avant même que des négociations s’engagent vraiment, elles butèrent sur la question de l’Alsace-Lorraine.

Pour la France, pas question d’accepter quoi que ce soit sans retour de l’Alsace-Lorraine à la France, 

pour l’Allemagne pas question de la rendre.

Pas de compromis possible à propos de l’Alsace-Lorraine : son sort dépendait de la victoire ou de la défaite. D’où cette remarque un peu désabusée de Raymond Poincaré en date du 8 décembre 1914 lorsqu’il reçoit des cadeaux venant de la petite partie de l’Alsace restée du côté français, de la région de Thann : « Pauvres petits écoliers qui ne savent pas encore s’ils seront demain Allemands ou Français et qui se tournent cependant vers nous avec confiance, comment aurions-nous le droit de tromper leurs espoirs ? »

Leurs espoirs ne furent pas trompés. Quatre ans plus tard, après l’armistice du 11 novembre, les troupes françaises entraient victorieusement en Alsace, au milieu de l’enthousiasme général. Même, si on laisse de côté que très vite les rapports ne furent pas très bons entre l’Alsace catholique et la France de l’intérieur volontiers anticléricale, l’enthousiasme fut-il aussi général que des images d’Epinal, le font croire ? 

Même si on laisse de côté la nombreuse population allemande venue en Alsace et dont une bonne part fut expulsée, même si on laisse également de côté la question de tous les mariages mixtes qui avaient eu lieu, il est vraisemblables que les parents de tous les jeunes Alsaciens morts dans les rangs de l’armée allemande ne devaient pas être, malgré tout, tellement joyeux…

En terminant cet exposé, on ne peut qu’être frappé par la complexité de l’histoire des Alsaciens-Lorrains confrontés à la Grande Guerre, et ils ne savaient pourtant pas que, environ 20 ans plus tard, tout recommencerait…

Bibliographie.

« Boches ou Tricolores, les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre », sous la direction de Jean-Noël 

Grandhomme. La Nuée bleue, 2008. (Dans ce livre, article de Jean-Jacques Becker « L’opinion publique 

française et l’Alsace-Lorraine en 1914 »).

Gisèle Loth. « Un rêve de France. Pierre Bucher. Une passion française au cœur de l’Alsace 

allemande » La Nuée bleue , 2000.

« Alsace 1914-1918 Linge 1915 », par le colonel Pierre Crenner,

Association du Mémorial du Linge, 2001.