Lanceur d'alerte contre les manquements à l'honneur de la guerre : 1ieme partie .

 

Extrait page 22 «   Cahiers d'un survivant « 

Un sifflement se fit soudain entendre de l'arrière, boum! Une grosse mine explosa au-dessus de nous. D'autres suivirent. Plusieurs hommes s'effondrèrent, foudroyés. A présent tout le monde voulait battre en retraite pour chercher un abri; c'était notre propre artillerie qui nous tirait dessus, et c'était particulièrement révoltant. Le lieutenant Vogel criait: En avant! Comme quelques soldats tergiversaient, il en abattit quatre sans hésiter; deux furent tués, deux blessés. Un des blessés était Sand, un de mes meilleurs camarades.    [Le lieutenant Vogel fut abattu deux mois plus tard, par ses propres hommes, dans le nord de la France.]

Extrait page 29«   Cahiers d'un survivant « 

Ce général donna alors l'ordre suivant aux chefs de compagnie, ordre qui fut lu à chaque compagnie: «Aujourd'hui on ne fait pas de prisonniers. Les blessés et les prisonniers doivent être abattus. »    La plupart des soldats restèrent abasourdis et sans voix, d'autres au contraire se réjouissaient de cet ordre ignoble contraire aux lois de la guerre. « Déployez-vous, en avant, marche.» On avança l'arme à la main en direction de la forêt, puis à l'intérieur de celle-ci

Extrait page 30«   Cahiers d'un survivant « 

Les Français blessés restèrent au sol et tombèrent entre nos mains. Je constatai, horrifié, qu'il y avait parmi nous des monstres pour transpercer à la baïonnette ou fusiller à bout portant les pauvres blessés sans défense qui imploraient la pitié. Un sousofficier de notre compagnie du nom de Schürk, un Badois de la classe précédente qui avait rempilé, tira d'abord en ricanant dans le postérieur d'un blessé qui gisait dans son sang; puis il tint le canon de son fusil devant la tempe du malheureux qui demandait grâce et appuya sur la détente. Le soldat mourut, libéré de ses souffrances. Mais je n'oublierai jamais ce visage déformé par la terreur.      A quelques pas de là, dans un fossé, gisait un autre blessé, un homme jeune et beau. Le sousofficier Schürk se précipita vers lui; je le suivis. Schürk voulut le transpercer de sa baïonnette; je parai le coup et hurlai, déchaîné: « Si tu le touches, tu crèves ! » Il me regarda éberlué et, peu rassuré par mon attitude menaçante, marmonna quelque chose puis rejoignit les autres soldats. Je jetai mon fusil par terre, m'agenouillai près du blessé. Il commença à pleurer, prit mes mains et les baisa. Comme je ne savais pas un mot de français, je lui dis, me montrant du doigt: « Alsacien, camarade !» avant de lui faire comprendre par signes que je voulais le panser. Il n'avait pas de pansement. Ses deux chevilles avaient été transpercées par des balles. Je lui enlevai ses bandes molletières, coupai avec mon couteau de poche un morceau de son pantalon rouge et lui pansai ses blessures avec les pansements de mon paquetage. Puis je restai couché à ses côtés, en partie par pitié, en partie à cause de l'abri que je trouvai dans le fossé. Les balles continuaient de siffler sans arrêt dans la forêt. Elles heurtaient les branches et s'enfonçaient dans les troncs. Très près de moi se trouvaient des buissons de myrtilles, pleins de fruits mûrs que je cueillai  et mangeai. C'était mon premier repas depuis une trentaine d'heures.

Extrait page 32 «   Cahiers d'un survivant « 
Le matin du 27 août 1914, une patrouille composée d'un lieutenant et de huit hommes partit dans la forêt avec pour mission de ramener le corps du commandant Müller. On ne tarda pas à entendre des coups de feu venant de la direction qu'ils avaient prise. Aucun des hommes ne revint. Selon les dires des soldats, le commandant Müller avait abattu de sa main deux Français blessés. Il était donc juste que son destin l'ait rejoint. Le sous-officier Schürk manquait également à l'appel, tout comme un réserviste qui avait lui aussi achevé des blessés.

Légende de la photo : Dominique Richert chef mitrailleur ( front russe ), dernier rang au milieu.

Lanceur d'alerte contre les manquements à l'honneur de la guerre : 2ieme partie .

Extrait page 54 «   Cahiers d'un survivant «

Dominique Richert chef mitrailleur ( front russe ) debout gauche [/caption]C'étaient tous de jeunes soldats, qui n'avaient pas encore connu le feu.
Ils me demandèrent de raconter quelques-uns des épisodes que j'avais vécus. Je leur racontai, entre autres, les événements du 26 août, l'ordre du général Stenger de ne pas faire de prisonniers français et de les tuer tous; je leur dis aussi comment j'avais vu des blessés français se faire tuer, etc.Tout d'un coup, le secrétaire de la compagnie entra dans la salle et cria: «Richert doit se présenter au secrétariat! » Je ne savais pas pourquoi, mais j'allais très vite comprendre.

L'adjudant de compagnie me reçut en disant: «Alors, il paraît que vous savez raconter de belles histoires? Qu'est-ce que vous venez de raconter aux hommes ?» Je lui répondis que je leur avais parlé de ce que j'avais vécu à la guerre. Il commença alors à me prendre à partie: «Quoi, vous voulez dire qu'un général allemand aurait donné l'ordre d'achever des blessés français !Je lui dis: «Mon adjudant, cet ordre a été effectivement donné au niveau de la brigade, le 26 août 1914, et le général Stenger commandait notre brigade. » L'adjudant se mit alors à hurler: « Retirez tout de suite cette affirmation, ou bien vous en subirez les conséquences !» Je lui répondis ;« Je ne peux pas retirer mon affirmation, puisqu'elle repose sur la pure vérité. » «Très bien, disparaissez, on va s'occuper de vous !» hurla alors le sous officier. ,,
La compagnie était déjà rassemblée sur la Wasserstrasse. C'est alors que je fus rappelé au secrétariat. Le sévère capitaine de notre compagnie m'y attendait.Ses yeux brillaient comme ceux d'une bête sauvage traquée. « Espèce de sale porc ignoble! Vous affirmez qu'un général allemand aurait donné l'ordre de tuer des blessés ennemis, pas vrai?» C'est ainsi qu'il me reçut. Je me tenais raide devant lui, et je lui répondis sans sourcillerle regardant droit dans les yeux: « Oui, mon capitaine! » Furieux, il me prit alors à partie en criant: «Espèce de sale traître à la patrie! Même devant moi vous osez confirmer ce que vous avez ditEspèce de cochonespèce de chameauespèce de rhinocéros! » Suivirent alors les noms de probablement tous les animaux sauvages et quelques autres bêtes domestiques; et cette litanie se termina lorsqu'il me dit: «Allez au diable, espèce de chien, espèce de damné !» Je fis demi-tour et allai rejoindre la compagnie prête à partir.

Richert whistelblower dans l'armée allemande