1 – Traitement de choc
2 – Presse  ALMANACH

3 – Edition  » Les arènes de Paris »

4 – La bataille de Rixheim

5 – Articles concernants Dominique Richert du diocèse de Strasbourg

Dans un premier temps, je me suis demandé ce que ressentaient les hommes au feu, comment ils se comportaient en voyant leurs copains tomber, quand ils avaient peur et faisaient dans leur froc. J'ai réalisé que certains parvenaient à dominer leur terreur par une forme de froideur, d'indifférence à l'environnement. D'autres buvaient, se droguaient; d'autres, enfin, devenaient fous. Ceux-là, ces névrosés de la guerre, j'ai voulu savoir comment on les soignait, et j'ai découvert que l'on faisait largement appel à l'électricité. Cet aspect était peut-être connu de certains médecins spécialistes de l'histoire militaire, mais on ne l'aborde pas dans les livres et, pour moi, c'était réellement une découverte. 

Dans quelles circonstances en avez-vous pris conscience?

En lisant le journal de Robert Musil, qui avait servi dans l'armée austro-hongroise et qui aborde ce problème, et, surtout, en travaillant sur les réactions de Freud à la Première Guerre mondiale. Dans un livre d'histoire de la psychanalyse figurait le procès-verbal d'une audition de Freud à Vienne, en 1920, lors d'un procès retentissant intenté par un ancien officier, Walter Kauders, à l'armée autrichienne. Commotionné par l'explosion d'une grenade sur le front russe, le 29 août 1914, Kauders avait été soigné à l'électricité dans des conditions atroces. Devant la commission d'enquête, Freud dénonça l'inhumanité de l'électrothérapie et contesta son efficacité thérapeutique. Mais les psychiatres officiels maintenaient leur point de vue. Pour eux, l'ébranlement nerveux provoqué par l'électrochoc devait arracher le malade à ses fixations psychologiques, et lui permettre de repartir au front. 

On est tout de même plus près de la torture mentale que de la médecine!

Bien sûr. Il est clair que les psychiatres volaient au-devant des desiderata des militaires. D'ailleurs, certains ne se privent pas de dire que la frayeur de l'électricité doit aussi permettre de débusquer les lâches et les déserteurs en puissance. Au cours du procès Kauders, plusieurs témoins confirmeront qu'un des accusés, le Dr Kozlowski, ne se contentait pas d'appliquer l'électricité sur les extrémités des membres, il le faisait aussi sur les testicules et sur le bout des seins. 

Ces méthodes n'étaient quand même pas généralisées…

Mais si! Dans tous les camps, on a eu recours à l'électrothérapie. Lors d'une séance de la Société de neurologie, le 29 juin 1916, à Paris, Clovis Vincent, ardent propagandiste de cette technique, expliquait que, pour guérir ses patients névrosés de guerre, il avait eu recours aux injures, aux jurons, aux manifestations de colère, feintes ou réelles, «le tout appuyé par des excitations galvaniques intenses». De même, après la guerre, l'ancien médecin major aux armées Georges Dumas avoue: «Avec tous j'appuyais mes raisonnements d'un traitement électrique consistant dans des décharges d'électricité statique.» 

De retour au front, quelle pouvait être la motivation de ces soldats?

Ils étaient sans doute perdus pour le combat, mais leur retour avait valeur d'exemple. De tous les documents que j'ai pu consulter, des correspondances, des journaux de guerre, des mémoires ou même des ?uvres de fiction, dans la mesure où leurs auteurs avaient eu une connaissance directe, physique de la guerre, il résulte clairement que ces soldats étaient avant tout des hommes opprimés. S'ils ont tenu, c'est d'abord et avant tout parce qu'ils étaient sévèrement encadrés et menacés par leur hiérarchie respective. On dit souvent que les poilus étaient animés par un sentiment national étonnant et que cela explique leur formidable endurance au cours de ces quatre ans et demi de guerre. Après Robert Graves, je pense que le sentiment national n'existe pas dans les tranchées. Il existe avant, lorsque les hommes rejoignent leur drapeau, mais pas après, ou alors de façon marginale. On s'extasie sur l'héroïsme des assauts, mais on oublie de dire que celui qui refusait de monter au feu était abattu par son officier ou par le sergent «serre-file» au fond de la tranchée. Le rôle de ce dernier est d'ailleurs clairement défini dans le manuel du gradé de l'infanterie. Dans ses Cahiers d'un survivant, Dominique Richert raconte comment un lieutenant abattit sans hésiter quatre hommes qui tergiversaient au moment de l'assaut. Toujours selon son témoignage, le lieutenant en question fut abattu deux mois plus tard par ses propres hommes dans le nord de la France. 

Les exemples de camaraderie, de solidarité entre les combattants font-ils aussi partie des images pieuses?

Oui et non. Il y eut indéniablement de la camaraderie et de la solidarité, comme dans toute communauté humaine. Mais l'esprit de corps n'existe que dans un cercle très restreint, disons celui de l'escouade. C'est la vingtaine ou la trentaine de gars avec qui on passe ses journées et ses nuits. Au-delà, tout est permis. On ira piquer des montres ou des pièces manquantes aux escouades voisines. Parfois même, aux époques de disette, on ira leur voler de la nourriture. Naturellement, c'est un aspect minoré dans la correspondance avec les familles ou dans les mémoires. Mais la détérioration psychologique des hommes est telle que, à en croire certains observateurs, fort peu prenaient la peine d'ajuster leur tir lorsqu'ils apercevaient l'ennemi. Ils se contentaient de décharger leur arme et… leur angoisse. De même, après douze ou quinze mois de feu, de nombreux officiers perdaient la raison ou devenaient complètement neurasthéniques. 

Dans votre livre, vous expliquez aussi que cette guerre n'a pas seulement été une histoire d'hommes.

En effet. Contrairement à tout ce que l'on a pu dire, elle a aussi été une histoire de femmes. Les femmes sont omniprésentes à la guerre. En pensée, en rêve, mais aussi… physiquement. Ce qui a attiré mon attention, là encore, ce sont non pas les archives militaires – elles sont muettes sur ce point – mais la presse médicale et les articles faisant état du nombre effarant de maladies vénériennes. Dans chaque armée d'Europe, on a dénombré à peu près 500 000 syphilis ou autres pathologies vénériennes. Il est avéré qu'il se trouvait des femmes à proximité de la zone des combats. La plupart des armées ont installé des bordels. L'armée française, quant à elle, favorisa discrètement leur ouverture et les contrôla sur le plan sanitaire. Le système avait d'ailleurs été expérimenté pendant les guerres coloniales. Cela m'a conduit aussi à m'interroger sur la modification des relations hommes-femmes provoquée par la guerre. A côté de la prostituée, il reste en effet la femme aimée, sublimée, celle que l'on voudrait trouver ou retrouver. Mais, chez certains, la femme finit aussi par être mise en accusation. Pourquoi? Parce que la femme, c'est l'arrière, c'est l'embusquée; on lui en veut d'avoir laissé partir les hommes sans rien dire, sans rien faire, de les avoir laissés s'engloutir, tous autant qu'ils étaient, dans cette communauté de souffrances.  

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