Une manne derrière la mémoire ?

La commune de Dannemarie pose ce samedi la première pierre de son futur musée de la Grande Guerre. Alors que la fréquentation des sites mémoriels de l’Hexagone a bondi sous l’effet du centenaire, les acteurs de ce projet à plus de 2 M € voient là l’occasion de « désenclaver le territoire » en y attirant 20 à 25 000 visiteurs par an, dont une part de touristes étrangers.

L’architecte mulhousien Johann Froeliger a eu charge d’adapter l’ancien bâtiment industriel à sa future vocation mémorielle. Archives L’Alsace

• UNE ÉPOQUE : 1871-1919.

«  On a bâti un beau et solide projet  », s’emballe le maire de Dannemarie, Paul Mumbach, pour qui ce futur Mémorial de Haute-Alsace représente «  une initiative majeure pour la ville et le territoire du Sundgau  ». Voilà déjà deux ans que la commune travaille son dossier… et frappe à toutes les portes en quête de mécènes ou de partenaires institutionnelles. Dernier soutien sollicité par la commune : celui de la Région Grand Est. Rappelons que ce futur espace muséal doit naître entre les murs de briques rouges de l’ancienne friche Japy, bâtiment qui avait justement accueilli entre 2015 et 2016 l’exposition des Tranchées oubliées et sa collection riche de près de 13 000 reliques de la Grande Guerre, objets du front, uniformes ou autres documents d’époque. Une « mine d’or » pour raconter l’histoire singulière de l’Alsace – et notamment du Sundgau – entre 1871 et 1919, date de la réintégration au sein de la République française.

• UNE ÉQUIPE D’EXPERTS.

Derrière ce futur musée, déjà des heures et des heures de travail mené par un comité de pilotage et un comité scientifique réunissant historiens ou universitaires autour de Laurent Mirouze, auteur de nombreux ouvrages de référence sur la Grande Guerre. La commune met aussi en avant l’étude d’impact réalisée par un autre expert, Édouard Bouin, un ancien collaborateur de l’actuel ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. De quoi donner du poids à un projet ambitieux… mais que certains auraient tout de même mis du temps à prendre au sérieux, explique en substance le maire de Dannemarie.

• TERRAIN FAVORABLE.

Évoquer la Première Guerre mondiale dans l’une des seules parties de l’Alsace occupées par l’armée française durant tout le conflit, c’est l’un des grands enjeux de ce futur Mémorial qui retracera les faits militaires mais aussi l’histoire des populations civiles dans la région depuis 1871 et l’annexion au Reich allemand. Avec des pièces uniques venues récemment enrichir la collection des Tranchées oubliées : le képi du premier soldat français mort en 1914, le caporal Jules-André Peugeot, ainsi que les manuscrits originaux de Dominik Richert, auteur des Cahiers d’un survivant, Un soldat dans l’Europe en guerre. Au-delà d’une «  collection exceptionnelle  » à valoriser, il s’agit aussi de rendre justice à l’histoire singulière de l’Alsace et du Sundgau…

• SEPT THÉMATIQUES.

Le cabinet Présence, basé dans les Hauts-de-France, a été retenu dans le cadre d’une consultation de maîtrise d’œuvre pour la partie scénographie-muséographie. Sept séquences ou thématiques ont été retenues : l’Alsace sous administration impériale ; la reconquête de 1914 ; les combats dans le Sundgau ; la vie des soldats sur le front des Vosges (avec une tranchée pédagogique franco-allemande) ; les spécificités de la guerre dans le Sundgau ; le KM0 et la Suisse dans la Grande Guerre et, pour finir, le Sundgau comme laboratoire de l’Alsace française pendant la guerre. Premier objectif : jouer sur l’émotion et mettre en avant la «  porosité  » entre France et Allemagne durant cette période trouble pour mieux restituer cette dualité «  au cœur des fondements de l’identité alsacienne contemporaine  ». Entre expositions pures, ambiances sonores, projections d’images, maquettes 3D ou autres écrans tactiles, le parcours de visite sera conçu (et vécu) «  tantôt comme une rupture, tantôt comme un miroir, tantôt comme une acculturation…  »

• VISER L’INTERNATIONAL.

Parce que le tourisme de mémoire est devenu un créneau porteur, l’objectif à terme est d’inscrire le futur Mémorial dannemarien dans un plus vaste circuit couvrant toute la période allant de l’Empire allemand de 1871 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, entre Belfort, le mémorial Alsace-Moselle de Schirmeck, le musée du Linge ou encore le Hartmannswillerkopf. À Dannemarie, on affiche déjà des ambitions internationales : l’exposition permanente mettra (entre autres) l’accent sur la présence des troupes américaines et notamment celle des noirs américains en Alsace. L’idée étant d’attirer des visiteurs « long-courriers », entre autres d’outre-Atlantique. «  Le touriste américain est une vraie cible  », complète le maire de Dannemarie, qui lorgne aussi du côté de la Suisse voisine, mise en avant à travers le KM0 ou la barrière électrifiée.

• 20 à 25 000 VISITEURS.

Depuis 2014, la fréquentation des lieux de mémoire de France a largement profité de « l’effet centenaire ». Une niche qui pourrait donc contribuer à «  désenclaver le territoire  », estiment les acteurs du projet. Pour équilibrer un coût de fonctionnement annuel estimé à près de 200 000 €, les projections tablent sur 20 à 25 000 visiteurs/an, avec une bonne part de public scolaire. Une manne mémorielle déjà perçue comme «  une bouffée salutaire pour notre commerce, notre artisanat. […] T out un territoire devra traiter l’accueil de près de 25 000 visiteurs, avec des besoins générés en restauration, hébergement, etc.  »

• OBJECTIF 2019.

Après la pose symbolique de la première pierre (lire en encadré), le chantier du futur Mémorial devrait rentrer dans le vif du sujet dès la semaine prochaine. La première tranche concernera notamment l’aménagement du rez-de-chaussée, qui accueillera l’exposition permanente ainsi qu’une boutique et une brasserie, dont le futur gérant sera Philippe Lebran, déjà aux manettes de l’Auberge du zoo de Mulhouse. La seconde tranche de travaux devrait être lancée d’ici mars-avril 2019. Si l’ouverture du Mémorial n’est plus envisageable pour juin prochain et le centenaire du traité de Versailles signé entre l’Allemagne et les Alliés, l’objectif reste d’ouvrir avant la fin d’année 2019.