Incorporation de force : le combat sans fin de la reconnaissance.

La mémoire de la Seconde Guerre mondiale s’est construite, en Alsace, autour de l’annexion et de l’incorporation de force. Un crime rarement connu en dehors des trois départements rattachés de force au III e Reich en 1940.

Par Nicolas ROQUEJEOFFRE – 29 sept. 2022 à 17:36 | mis à jour le 29 sept. 2022 à 22:45 – Temps de lecture : 3 min

Henri Weber fut la porte d’entrée des recherches du professeur émérite de droit et ancien conseiller général du Bas-Rhin Jean-Laurent Vonau. Cet incorporé de force appartenait à la sinistre compagnie du 1er bataillon de Panzergrenadier du régiment Der Führer, rattaché à la division « Das Reich ». Henri Weber n’a pas tiré un coup de fusil à Oradour où 643 personnes périrent le 10 juin 1944. Il ne pénétra pas dans le village et, placé aux abords de la commune de Haute-Vienne, avait pour mission, avec d’autres soldats, de ne laisser entrer ni sortir personne. Au procès de Bordeaux, il a été condamné puis, peu de temps après, amnistié. « La pension qu’il avait demandée au ministère fut refusée à cause de sa présence à Oradour. Cette histoire l’a constamment rattrapé. Il s’était expatrié à Rennes mais quand la clientèle de la boucherie où il travaillait a su qui il était, personne ne voulait être servi par lui ».

Oradour. Comme une fracture jamais consolidée. Une tache indélébile sur cette mémoire alsacienne de la dernière guerre. Lors du colloque au mémorial de Caen dédié à l’Alsace Moselle, territoire annexé par les nazis, qui s’est tenu mardi et mercredi, l’évocation du crime commis par les troupes nazies et du procès de Bordeaux de 1953 a captivé un auditoire à la fois normand et alsacien. Dans sa description magistrale, Jean-Laurent Vonau a bien rappelé la présence parmi les victimes d’Oradour de 44 Mosellans et 11 Alsaciens (de Schiltigheim et d’Erstein), tous réfugiés.

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Mise au point sémantique

« C’était tu avances ou je te descends ! »

Ces Alsaciens de la « Das Reich », que la plupart des Français, depuis toujours, assimilent à des volontaires (un seul l’était, un sergent), pouvaient-ils, à Oradour, échapper à ce destin funeste ? « On ne peut demander à des gamins de 18 ans d’être des héros, lâche l’universitaire. Et la plupart étaient mineurs pénalement ». Surtout, l’historien rappelle que ces incorporés de force se trouvaient sous la contrainte physique et psychologique. « C’était tu avances ou je te descends ! », résume-t-il. « Sans oublier la Sippenhaft », cette loi de responsabilité collective menaçant de déportation la famille, au sens large, et la saisie des biens.

Oradour occulte la résistance des incorporés, ajoute Jean-Laurent Vonau. Il cite ainsi ce cas emblématique d’un Alsacien de Schweighouse (Thann ou Moder, il ne sait pas) qui, jamais, ne parlera, si ce n’est à son fils, de son acte de bravoure dans la vallée de la Saulx (Meuse). Dans le village de Robert-Espagne, il refuse de tirer avec sa mitrailleuse sur les Français, une cinquantaine, raflés par une unité de la Wehrmacht. « Son lieutenant lui signifie qu’il sera fusillé. Mais deux jours plus tard, l’officier meurt lors d’un bombardement. C’est sa chance ! » Ce même jour, à Beurey-sur-Saulx, un Alsacien prévient un maquisard que la population masculine du village va être fusillée. « Ces exemples montrent bien que les incorporés n’étaient pas des salauds ! »

Une motion lancée à Caen

L’actualité rattrape pourtant régulièrement ce pan de l’histoire alsacienne. La méconnaissance du drame vécu par ces quelque 142 500 Alsaciens et Mosellans, hommes et femmes, pousse à la faute et meurtrit les derniers rescapés. Alphonse Troestler a cité quelques exemples navrants et qui obligent à une éternelle justification : le documentaire de Prazan sur la Das Reich avec ses incohérences historiques (les Alsaciens formaient le gros des troupes de la division avec 6 000 soldats ; ils n’étaient que 800…) ; la polémique sur le mur des noms au Mémorial d’Alsace/Moselle  ; celle sur la récente plaquette du concours national de la Résistance et de la Déportation.

L’ancien maire de Rosheim cite aussi l’absence remarquée de représentant de l’État lors du 80e anniversaire de l’incorporation, en août dernier à Obernai. Qui réagit ? Bien souvent les associations mémorielles, rarement les élus alsaciens. Ce colloque en Normandie a permis de lancer une motion qui sera adressée aux parlementaires alsaciens demandant « l’intégration de la mémoire régionale d’Alsace dans la mémoire nationale », et que l’incorporation de force et l’annexion des trois départements français soient « portés à la connaissance de tous les élèves de France ».