Oui, ce livre est vraiment un miracle.
Dominique RICHERT, jeune paysan du Sundgau, le sud de l’Alsace qui à l’époque faisait partie de l’Allemagne, est mobilisé en 1913 et se retrouve sur le front en Pologne, en Roumanie et en Russie jusqu’en 1918. Il est alors muté vers le front occidental, dans la Somme et continue toujours en première ligne et toujours 2e classe, jusqu’au moment où il réussit à déserter et finit la guerre comme prisonnier des Français.
Au retour, Nickel -c’est ainsi qu’on l’appelait dans son village- a passé un hiver entier à écrire le récit de cette expérience terrible et traumatisante: inutile de dire que tout ce récit, écrit dans un style très vivant et sans une rature, qui fourmille de dates, de noms de lieux, de personnes, d’unités, a été rendu entièrement de mémoire car, au cours de ses tribulations dans les tranchées il n’était évidemment pas question ni de tenir ni de conserver des notes ou un journal ou quoi que ce soit d’approchant. Et il range ces 6 cahiers sur une vielle poutre dans sa maison, mais il n’oublie pas ces terribles années de guerre et ne cesse d’en parler à ses proches.
Quarante cinq années passent: jeune étudiant et ami de la famille RICHERT par mes parents et grand parents qui habitaient le même village, Dominique me parlait de ses années de guerre chaque fois que j’allais le voir. Et lorsqu’un jour il m’a sorti ses cahiers je lui dis, après avoir déchiffré laborieusement leur petit écriture gothique, qu’il fallait absolument les publier. Après une année passée à retranscrire ces textes, je contactai de nombreux éditeurs et auteurs allemands. Et finalement Heinrich BÖLL, Prix Nobel de Littérature, le transmit au centre d’archives sur la guerre de Fribourg où encore vingt ans plus tard, 2 jeunes étudiants allemands en doctorat le retrouveront et le feront publier non sans avoir constaté auparavant l’a concordance remarquable des citations de dates, lieux et nom, et la télévision allemande en fera un film.
Dominique RICHERT était mort quand son livre est paru, d’abord en Allemagne puis en France (où il vient d’être réedité) , puis en Angleterre. Mais son livre reste un témoignage exceptionnel de la Grande Guerre vécue par un simple soldat, des possibilités stupéfiantes de la mémoire humaine et des aventures étonnantes de 6 cahiers d’écolier grignotés par les souris.


Jean Claude Faffa Le premier passeur de mémoire au sujet des cahiers de Dominique Richert FAFFA écrit dans un émail 24 mai 2023:

«Les cahiers de Dominique étaient d’abord  rangés dans une commode puis plus tard ils ont ete transférés sur une poutre au grenier. Bien des années plus tard le fils a constaté que l’un des cahiers avait ete grignote par les souris et etait fortement érodé. Il a convaincu le père d’ecrire un remplacement. Ulrich raconte ça deux fois: d’une part dans son livre « Retour au Sundgau » et d’autre part dans « Une saga familiale » Nous sommes un peu parents avec les Richert: Ma grand mère maternelle, la mère de ma mère etait la 8e fille d’une fratrie de 8 (elle s’appelait Octavie) et etait une soeur d’Adele, la femme de Dominique. Quand mes parents allaient a St- Ulrich ils allaient voir leurs parents et aussi leurs amis dont les Richert, et je les accompagnais. La-bas je tombais immanquablement en discussion avec Nickel et, immanquablement ca tombait sur la guerre des tranchées. Et comme il disait qu’il avait écrit ses aventure je lui ai demande de me prêter ses cahiers. Après s les avoir lus,  je lui ai dit qu’il fallait absolument les publier, ce que nous ne savions faire ni l’un ni l’autre. Après avoir fait mes licences a Strasbourg, j’ai continué mes etudes en Doctorat a la Fac de droit de Paris et j’ai passé ma 1e année à dechiffrer et recopier sur une vieille machine à écrire la Sutterlingschrift de Nickel que personne ne savait plus lire et que j’avais apprise dans ma 1e année à l’école allemande. A la fin ca faisait un paquet de plus de 1,4 kilos: je l’ai ronéoté, corrigé, assemblé, seul, tu imagines le boulot! Après il restait à trouver des éditeurs et je n’en connaissais aucun. J’ai fureté dans les livres qui parlaient de la guerre de 14 en France et a l’etranger… et au gré de l’inspiration: ainsi, je venais de lire un petit livre qui m’avait bien plu: « Wanderer kommst du nach Spa’ » d’un nommé Heinrich Boll que je ne connaissais pas autrement et auquel j’ai envoyé une copie aux bons soins de son éditeur. Il m’a répondu très gentiment que le livre ne le convernait pas mais. qu’il le faisait suivre aux archives militaires de Fribourg. Et ainsi beaucoup d’autres, et je tenais Nickel ai courant bien sûr. Il était déçu comme moi, bien sur mais j’ai quand meme envoyé tous azimuths une quantite de tapuscrits avec toujours au mieux une reponse negative polie. Et c’est quelques années plus tard qu’Angelika et Ulrich , 2 jeunes etudiants allemands m’ont decouvert aux archives. Ca leur paraissait a priori incroyable et ils n’ont pu me joindre directement car j’avais changé d’adresse. Mais ils ont, bien sûr, trouvé St-Ulrich et les descendants de Nickel et m’ont recontacté par ce biais. Angelika, a laquelle le livre paraissait tout a fait învraisemblable  en a fait un examen très serré par référence aux archives et a dû constater que « tout collait ». Et c’est parti . Helas, Nickel qui aurait été tellement fier d’etre édite etait mort, et Adèle aussi!